LIBÉRATION
Évacuation du camp.
La chambre à gaz a été démolie de nuit. Les
Allemands l’ont fait sauter.
Ils firent également sauter à la dynamite les
fours crématoires de façon à dissimuler leurs crimes. Il ne reste que quelques
ruines des fours et l’emplacement où les Allemands jetaient les cendres.
On a demandé aux infirmiers de travailler à
brûler les documents. J’ai assisté à tout cela, les S.S. derrière le dos.
Le 18 janvier 1945, tout le camp,
c’est-à-dire l’administration, les internés, les ouvriers étrangers, etc….
reçurent l’ordre de se préparer à l’évacuation.
Les S.S. sont devenus enragés. Ils
descendaient tous ceux qui se trouvaient devant eux dans la cour. Trente
d’entre nous qui s’étaient évadés dans la rue ont été recherchés par les S.S.,
et ont été retrouvés. Les S.S. sont rentrés au camp. Ils les ont mis contre le
mur et les ont fusillés tous les 30. Ils ont encore tué environ 160 personnes.
Ils sont partis et sont revenus deux heures après. Ils ont encore tiré sur une
centaine de prisonniers. Quelques blessés suppliaient qu’on les achève. Les
S.S. leur tiraient 3 balles dans la tête. Les S.S. ont jeté une grenade sur
l’hôpital à travers les fenêtres. Nous nous sommes couchés par terre et
personne n’a été blessé. Le garage a commencé à prendre feu mais nous sommes
arrivés à maîtriser ce commencement d’incendie.
Dans l’après-midi, les S.S. ont mis le feu
aux baraques où se trouvaient les détenus et ceux qui essayaient de fuir
étaient abattus.
Il faut se souvenir que sur 1 200
détenus qui quittèrent Compiègne le 17/8/44, 66% étaient décédés. Un nombre
important a trouvé la mort au cours des opérations d’évacuation du camp les 8
et 10 avril 1945.
Les
déportés juifs sont partis d’abord, ensuite les voleurs et les criminels de
droit commun et finalement les détenus politiques dont un grand nombre de
Français.
La
mine a été évacuée le 19 janvier 1945 dans l’après-midi et nous sommes partis à
pied au nombre de 2 000 dans la neige.
Dès la sortie du camp, l’assassinat a
commencé. Les gens qui s’écartaient des lignes extérieures de la colonne
étaient immédiatement abattus. Il en était de même des traînards et des malades
qui ne pouvaient suivre.
Nous n’étions pas en marche depuis un quart
d’heure que nous entendîmes une mitraillette : c’étaient des Juives qui
avaient été exécutées.
Nous fîmes 50 kilomètres à pied sans relâche,
sans repos. Ensuite, nous nous reposâmes quelques heures.
Cette marche ininterrompue de 50 kilomètres,
je ne l’oublierai jamais. On marcha toute la nuit.
Les routes nationales étaient interdites à
notre convoi pour faciliter la circulation des convois militaires. Nous avons
pis un chemin recouvert de 50 centimètres de neige. La marche était très
pénible et nous nous tordions les pieds.
Ceux qui devaient faire un besoin naturel devaient
courir en avant de la colonne pour se mettre sur le côté de la route et être
habillés de nouveau au moment où arrivait la fin de la colonne sans quoi ils
étaient tués immédiatement.
Nous avons marché pendant vingt-quatre heures
consécutives. A Peiskreschen, il y avait un hangar qui ne pouvait à peine
contenir 1 000 personnes. Les S.S. nous ont fait tous rentrer dedans. On
était empilés les uns sur les autres et il fallait rentrer car ils tiraient des
coups de mitraillettes sur nous. On s’est mis les uns sur les autres. Beaucoup
de ceux qui étaient dessous sont morts étouffés. Il y eut plusieurs centaines
de cadavres.
Certains ont marché 8 jours et 8 nuits en
plein hiver, au mois de janvier, ayant reçu en tout et pour tout 2 fois du pain
sec, 2 rations journalières sans eau à boire.
Nous avons marché durant 52 jours. Nous
recevions comme nourriture 3 à 5 pommes de terre. Pendant cette période, nous
avons reçu 10 fois ¼ de pain, 10 fois de la soupe et 4 fois de la margarine.
Pas d’eau : interdiction était fait aux
habitants de nous donner ou laisser prendre ; nous sucions de la neige.
Nos gardiens laissaient tomber du pain et
celui qui avait le malheur de se pencher pour le ramasser, avait, soit une
balle de revolver, soit des coups de crosse de fusil.
Nous avons souffert de la faim ; nous en
fûmes réduits à manger des morceaux de fesses et de bras sur des camarades
morts récemment. Sur un petit feu nous faisions griller ces morceaux et les
mangions.
Pendant nos moments de repos, nous nous
allongions sur le tas de charbon et nous mangions du charbon par poignée.
Toute personne épuisée, tombant sur la route,
recevait un coup de revolver tiré à bout portant par les S.S.
Étaient abattus par coups de revolver
également tous ceux qui ne pouvaient suivre le convoi ainsi que ceux qui
tentaient de s’évader.
De temps à autres les S.S. qui trouvaient que
nous n’avancions pas assez vite, pris d’une sorte de folie, tiraient dans les
rangs presque sans interruption.
J’ai été témoin de ces assassinats qui étaient
accomplis par les S.S. à coups de fusil.
Je les ai vus tuant un détenu parce qu’il
avait une paire de chaussures neuves et qu’ils voulaient se l’approprier ;
un autre, un employé de chemin de fer belge qui sortait de la prison de
Gleiwitz, parce qu’il avait reçu une cigarette qu’un prisonnier français lui
avait jetée ; un troisième enfin, parce qu’il avait reçu un morceau de
pain qui lui avait été jeté. D’autres ont été tués parce que, dans la grange,
ils se sont couchés sur le côté gauche au lieu du côté droit comme on leur
avait indiqué.
Un homme, âgé d’une cinquantaine d’années,
portait dans ses bras son fils de 18 ans qui ne pouvait plus marcher. Épuisé à
son tour et ne pouvant plus porter son fils, il le posa à terrer. Le pauvre
garçon fut fusillé sur place par les S.S. e le père dut continuer sa marche.
Je marchai sur la route, avec mon frère et un
camarade, lorsqu’un officier S.S. à cheval, s’arrêta auprès de nous ; il
était accompagné de deux soldats armés. Il nous dit de continuer à marcher
devant lui. Nous avions à peine fait 5 mètres dans un petit bois qu’il fit feu
sur la tête de mon camarade à bout portant. Celui-ci eut le sang-froid de
s’abattre, en simulant la mort, ensuite il tira sur mon frère et le tua. Le
revolver s’enraya. Pendant qu’il rechargeait, je me sauvais dans le bois.
Je suis ensuite revenu deux heures
après ; j’ai retrouvé le corps de mon frère.
En cours de route, dans le village de
Noenschebsdorf, près de Trautenau, nous avons rencontré un ouvrier français,
ancien prisonnier transformé, ayant ses papiers en règle (je les ai vus entre
les mains) ; parce qu’il ne pouvait plus suivre le convoi, il a été tué
par les S.S. qui nous accompagnaient. Quatre prisonniers de guerre roumains qui
s’étaient joints à notre convoi, en sortant d’un hôpital, furent tués et
enterrés par les S.S. de notre convoi.
Au cours d’une attaque d’aviation, les S.S.
qui conduisaient les internés, s’enfuirent dans un bois en leur donnant l’ordre
de ne pas bouger et de rester en bordure de la route. Une partie des déportés
s’étant réfugiés également dans le bois, les S.S. firent par la suite une
chasse à l’homme et il y eut pas mal de morts.
Ils nous ont fait creuser une fosse pour
mettre les cadavres de ceux qui étaient à peu près morts ou trop fatigués pour
continuer la marche. Un officier a demandé à ceux qui étaient les plus faibles
et qui ne pouvaient plus marcher, d’enterrer les cadavres, puis ils ont abattu
une cinquantaine de fossoyeurs qu’ils ont fait enterrer par la suite par les
prisonniers russes qui se trouvaient dans ce camp.
Pour la dernière étape (nous avions déjà fait
100 kilomètres), il fallait faire encore 25 kilomètres ; la bataille se
rapprochait. Cette étape a été la plus meurtrière. Ils étaient pressés et ils
nous faisaient courir. Ceux qui ne pouvaient pas courir, ils les abattaient.
Ils ont tué ainsi plus de 1 000 personnes.
A un moment donné, on nous parqua dans des
wagons à charbon, sans toit, 140 hommes par wagon. Nous restâmes dans ces
wagons trois jours et trois nuits debout, serrés étroitement les uns contre les
autres, sans pouvoir nous asseoir ni dormir. Arrivés à un point d’épuisement
total, on penchait la tête sur l’épaule d’un voisin et on dormait quelques
minutes. Il y avait parmi nous beaucoup de morts par épuisement.
Par deux fois, les Allemands nous firent
ouvrir les wagons pour descendre les morts qu’ils entassèrent dans les wagons
qu’ils avaient vidés des vivants. Mais le voyage se poursuivait, la mortalité
augmentait. Il fallait stationner des journées entières pour continuer à faire
ces opérations de ramassage de cadavres. Au bout de 3 jours, l’opération fut
abandonnée et afin de préserver nos propres vies pendant le reste du voyage,
nous balancions les morts par-dessus les wagons.
Notre convoi sui comprenait 300 personnes au
départ, était réduit à 92 à notre arrivée en Tchécoslovaquie, le 12 mars 1945.
D’un autre convoi de 300, il ne restait plus
que 15 survivants.
Le 3 mai, on nous mit avec un autre
contingent dans des wagons, en direction des lignes américaines. Arrivés à
quelques kilomètres, les portes furent ouvertes pour les besoins personnels.
J’en profitai avec trois de mes camarades pour me cacher dans un petit bois.
Bien nous prit car les Américains, à leur arrivée, trouvèrent les corps mitraillés
dans les wagons ; il y en avait 650 à 700.
1 100 femmes, hors d’état de marcher,
qui ne purent donc quitter le camp, furent enfermées dans deux blocks que les
Allemands firent sauter à la dynamite avant de partir.
Nous sommes restés à peine 1 500 sur
l’effectif de 3 700 au départ. Ils en ont tué encore à l’entrée du camp.
Un gosse de 14 ans, un Juif hongrois, le plus jeune arrivé au dernier convoi, a
été abattu par un S.S., au commencement de la deuxième étape, parce qu’il ne
pouvait plus marcher et qu’il tombait par terre.
Nous restions alors 2 000. Les S.S. nous
donnèrent le choix : ou continuer deux heures plus tard vers Breslau, ou
de rester au camp. Ceux qui continuaient avaient la garantie de la vie sauve.
La plupart pourtant, exténués de fatigue restèrent. Il y eut seulement deux ou
trois cents qui continuèrent le chemin, nous avons appris par la suite, par les
Russes, qu’ils avaient été tous anéantis par ordre des S.S.
Il est resté dans le train un nombre de
détenus que je ne puis déterminer, mais qui s’élève certainement à plusieurs
milliers.
Les S.S. ont alors distribué des armes aux
détenus allemands qui ont, avec les S.S., mitraillés, sous nos yeux tous les
détenus restés dans les wagons.
Sur 5 000 détenus qui furent emmenés le
jour même, à ma connaissance 2/3 des hommes partis ce jour-là sont morts.
Un convoi parti d’Eplich, arriva à Meiste, à
1 kilomètre de Gardeulgen, le 11 avril 1945. Les S.S. enfermèrent les détenus
dans un grand bâtiment et le lendemain les massacrèrent à la grenade pendant
qu’un caporal S.S. de 16 ans, mettait le feu à la paille imbibée de pétrole, en
riant. Ceux qui tentèrent de s’échapper furent abattus.
Sur 2 500 Français, il en est mort plus
de 2 000.
Nous étions 5 000 personnes lorsque nous
quittâmes Birkenau le matin. Après un voyage de 8 jours et 8 nuits, le convoi
ne se composait plus que de 2 500 personnes. Les autres moururent soit par
étouffement à l’entassement, soit par la faim, ou bien encore abattus par les
S.S. Toute la ligne de chemin de fer était jonchée de cadavres que nous jetions
par-dessus bord pour faire place aux vivants.
Les 20 janvier 1945, sur 4 600 que nous
étions au départ, nous n’étions plus que 1 700 à l’arrivée (ceci pour
notre convoi), mais d’autres sur lesquels je n’ai aucun détail, nous suivaient.
Sur les 6 à 7 000 détenus transportés
par ce train, il n’en restait que ¼ de vivants, la moitié avait succombé
pendant le voyage et l’autre quart, dans l’infirmerie, quelques jours après.
Un gros convoi que les uns fixent à
12 000, d’autres à 14 000, a été attiré dans un guet-apens (endroit
dénommé dans toutes les sources où j’ai puisé mes renseignements, Forêt de
Giessens, en Haute-Silésie) et là les S.S. attendaient avec une mitrailleuse et
mitraillettes, et les ont exécutés en masse. Une centaine seulement se serait
échappée de ce carnage mais parmi les échappés je n’ai pas vu de Français. Il y
en avait pourtant dans le convoi.
Il y avait au camp, trois ou quatre jours
avant l’arrivée des Américains, 52 000 personnes. Plus de la moitié fut
évacuée, et j’ai su qu’un très grand nombre, sinon la majorité, a été abattu en
cours de route.
Ils ont quitté le camp environ 20 000.
Après enquête, beaucoup ont été exécutés le long du parcours, le chiffre est
difficile à fixer.
Près de Gleiwitz, 18 000 détenus ont été
massacrés à la mitrailleuse dans une forêt. Quant à moi, je me suis évadé
pensant que c’était là l’unique chance
de salut et j’ai rejoint l’armée rouge.
Tout à coup, en cours de route, les S.S. nous
dirent : « Partez ». On entendait les mitraillettes des
Allemands qui nous tiraient dessus. Les S.S. criaient : « Allez en
avant, los, los ». Nous demandions dans quelle direction. Les Juifs
polonais, avec leurs expériences de 5 ans, nous disaient :
« Maintenant, c’est la fin. Faites vos prières, c’est fini ». Ils
connaissaient les méthodes allemandes. Alors, je fis un saut de côté et me
cachai dans le bois sous la neige. Mon camarade et moi, nous y sommes restés
trois jours et trois nuits pendant que les 20 000 furent mitraillés.
Enfin, des 80 000 détenus affamés et
affaiblis que les Allemands jetèrent sur les routes, la plupart ont été
massacrés.
Le commandant du camp, à l’arrivée des
Alliés, a déclaré avoir reçu l’ordre, au moment de l’avance alliée, de nous
enfermer dans les blocks et d’y mettre le feu. Il ne l’a pas fait, d’abord
parce qu’il pensait que la dysenterie, le typhus, la faim et la soif se
chargeraient de régler notre sort à tous et qu’ensuite, le camp ayant été
cerné, il avait été trop tard pour mettre ce projet à exécution.
Le dimanche, 15 avril 1945, arrivaient les
Anglais. Notre vie fut ainsi sauvée, mais celle de tant d’autres …. Le nombre
des morts, grâce à la nourriture, a cependant diminué de 7-800 à 200 par jour.
F I N
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