EXÉCUTIONS DIVERSES
Pendant les années 42 et 43, il y avait
presque journellement des exécutions capitales. Celles-ci avaient lieu, en
général, par pendaison pour les détenus originaires de l’Est, et par fusillades
pour les autres (Norvégiens, Hollandais, Belges, Français). De plus, lorsqu’un
détenu déplaisait à son gardien, celui-ci remettait le soir une corde avec
laquelle il était invité à se pendre lui-même pour éviter l’exécution par une
balle dans la nuque dans une cave en ciment spécialement construite à cet
effet.
Le règlement du camp prévoyait une prime
donnée au tueur S.S. pour chaque exécution : deux décilitres d’eau-de-vie,
trois cigarettes et cinquante grammes de saucisson.
C’est ainsi que se décida pour la nuit du 1er
au 2 septembre 1944, le sort de quelque 300 internés (coups de revolver dans la
nuque et pendaison), leurs corps déposés dans une cave où une mare de sang
atteignit rapidement la hauteur de 20 centimètres. N’ayant pas été l’objet de
mention relevée, nous ne pouvons en indiquer le nombre exact. Il devait s’agir,
à notre connaissance, d’un groupe de partisans des environs.
Certains candidats à la mort étaient conduits
au four crématoire, pendus ou brûlés. Il y en avait en moyenne 2 à 5 par jour (les internés qui ont travaillé
au four crématoire pourront en certifier).
Ceux qui devenaient fous ou malades étaient
mis dans les lavabos. Ils restaient là deux, trois jours sans chaussures. Les
S.S. leur prenaient leurs vêtements chauds et ils restaient en chemise et
caleçon et partaient en transport pour les fours crématoires.
Pour subir le même sort, furent conduits
également au four crématoire, des travailleurs libres, dans leurs vêtements
civils, venant de l’extérieur, qui durent passer une nuit au cachot pour être
pendus entre 16 et 17 heures. La pendaison fut exécutée sur un ordre des S.S.
par des internés, criminels professionnels.
Il y eut un cas concret d’exécutions de
Français, lors de l’arrivée d’un convoi de Français, de Canadiens, d’Anglais
parachutistes, en juillet, puis en octobre 1944. La première fois, 11 victimes,
la seconde 17 ou 18. Quatre ont pu échapper à la mort par l’action conjuguée
des politiques français et des antifascistes allemands.
Quelquefois on disait : « Il y a trop
de Juifs ». Il fallait faire disparaître 100 hommes dans la nuit. Un S.S.
s’en chargeait en les étranglant ou en leur donnant un coup de bâtons sur la
nuque.
….. Je vis des S.S. sortant des cadavres
d’une baraque voisine. Les cadavres étaient nus et les S.S. les traînaient par
les pieds pour les mettre en tas. Je comptais plus de 80 cadavres. Les S.S.
avaient la veille effectué, dans une baraque du camp, simplement un
« nettoyage » habituel, consistant à tuer à coups de matraque de fer
les habitants d’un baraquement entier.
Un jour, le chef de block choisit 10
infirmiers au hasard (j’en faisais partie) et nous envoya en toute hâte au
block n°11. Nous sommes arrivés dans la cour de ce block et je fus effrayé par
le spectacle qui s’offrit à moi. Il y avait là comme un amas de bois
fraîchement coupé, un tas de cadavres de plus de deux cent mètres de haut. Ces
cadavre étaient disposés d’une certaine manière, afin que le sang puisse
s’écouler dans les rigoles qui entouraient le bâtiment ; mais le sang
n’arrivait pas à s’écouler et avait formé une flaque et nous en avions
jusqu’au-dessus des chevilles.
Un autre jour, une grande auto est
arrivée ; elle ne put entrer dans la cour, on la plaça de façon que
l’arrière soit tourné vers nous et nous avons dû passer les corps aux
« Leichentrager » qui les jetaient dans l’auto. Pendant que je
portais les premiers cadavres, un kapo, assis sur une table, s’écria tout à
coup : « Le cœur est tombé ». Je me retournais et m’aperçus que
le corps que je traînais était celui d’une belle jeune fille qui avait été
ouvert au milieu de la poitrine et que le cœur était effectivement tombé.
C’était la première fois que je voyais un cœur humain, je le ramassais et le
jetais dans la voiture avec le corps. Je m’en fus chercher un nouveau
corps ; celui-là avait reçu une balle dans la nuque, c’était d’ailleurs le
cas de la plupart des cadavres, dont le sang coulait encore.
J’allais chercher un autre corps, qui était
celui d’une jeune fille. Je la reconnus car je l’avais vue le jour même au
moment où un S.S la menait au Bunker. C’était une jeune fille polonaise, elle
marchait légèrement et gaiement, elle ne se doutait pas du sort qui
l’attendait. Je la tirai par la jambe pour la porter vers la porte de l’auto,
mais je reculais épouvanté, car tous les muscles de la cuisse avaient été
enlevés jusqu’à l’os. L’auto contenait 264 cadavres ; elle revint deux
fois.
Ah ! si la camionnette de la Croix-Rouge
pouvait parler, que de scènes et que de conversations inouïes pourrait-elle
relater. Elle servait aux transports des invalides, des enfants, des
vieillards, des femmes enceintes que l’on emmenait, soi-disant à l’hôpital,
mais qui, neuf fois sur dix, étaient déversés directement dans les fosses ou
alors fusillés par le tueur qui se livrait sur eux à des tirs sataniques.
Autour du camp il y avait un grand fossé dans
lequel les S.S. précipitaient les invalides et les vieillards. D’autres S.S.
qui se trouvaient autour du fossé les abattaient à coups de feu.
Un jour on nous fit déshabiller. Nous étions
complètement nus par une température de 10 degrés au-dessous de zéro. Vers 6
heures du soir, toujours nus nous avons été emmenés entre la cuisine et le mur
extérieur du camp. Nous avons attendu. Vers 9 heures du soir, des bruits ont
commencé à circuler ; il fallait, paraît-il, aux S.S. un certain nombre de
cadavres. A 11 heures du soir, nous fûmes rassemblés et emmenés aux douches en
présence d’un officier adjoint au commandant du camp. Celui-ci s’est livré à
quelques plaisanteries avec son revolver, afin de tuer un peu au hasard. Puis,
nous sommes entrés dans la salle de douches qui était gardée par les S.S. et la
police du camp. Ils ont ouvert les douches et nous sommes restés une demi-heure
sous l’eau glacée. Nous en sommes sortis à grands coups de matraque, déjà un
certain nombre de camarades étaient morts dans la douche. Cette opération a
recommencé trois fois, à 11 heures du soir, 3 heures et 4 heures du matin. A 7
heures du matin, les S.S. sont arrivés armés de gourdins, ils ont fait passer
les survivants (nous restions à peu près 200) en tirailleurs le long de chaque
mur (mur de la cuisine et mur de l’extérieur). Le jeu consistait à nous faire
passer d’un mur à l’autre. Pendant ce passage ils nous assommaient d’un coup de
matraque. Cette parade dura jusqu’à 8 heures du matin. Ils s’aperçurent alors
que cela n’allait pas assez vite et ils allèrent chercher des haches ….. Je pus
réussir à éviter les coups de matraque. Enfin, vers 9 heures du matin, ils ont
cessé le massacre, nous avions perdu 340 camarades et ne restions plus qu’à 60.
Chaque année, le jour de l’anniversaire de la
mort de Ernest von Rath, une vingtaine de Juifs étaient sortis des différents
blocks du camp exécutés, sans autre formalité.
Les Allemands faisaient des exécutions et des
pendaisons aussitôt qu’ils voyaient les Juifs reprendre un peu de courage.
Un S.S. en état d’ivresse, mais aussi de
sang-froid, nous obligeait à défiler devant lui, à nous découvrir pour le
saluer et, avec son revolver, il tuait au hasard ou selon son bon plaisir.
En dehors de ces faits quotidiens, j’ai été
le spectateur de choses atroces pendant deux jours. Montant à toute allure et à
toutes les heures de la journée du camp de Schirmeck, une camionnette était
chargée d’une douzaine de prisonniers. Ces gens avaient les mains liées
derrière le dos. La camionnette se rangeait derrière la salle du crématoire.
Nous entendions les détonations de révolver ; les corps étaient enfournés
dans le crématoire, la cheminée qui avait 12 mètres de haut était rouge, surchauffée
à un point que dans la nuit on voyait des flammes de sept mètres au-dessus du
toit.
D’après les renseignements obtenus et le
nombre de voyages effectués par la camionnette, 360 personnes auraient été
brûlées en trois jours, ce qui créa une psychose de terreur dans le camp,
surtout en raison de l’odeur effroyable qui se dégageait du four crématoire
surchauffé.
Le chef de ces services était un sadique. Il
disait lui-même qu’il ne pouvait se mettre à table s’il n’avait tué ses quatre
ou cinq victimes.
Pour les prisonniers politiques et les
partisans amenés au camp, les Allemands employaient la méthode de la balle dans
la nuque.
De la fenêtre de l’ambulance située au
deuxième étage du block 21, on pouvait voir ce qui se passait dans la cour
mitoyenne aux blocks 11 et 10. Je travaillais précisément à l’ambulance du
block 21.
Nous pouvions alors, en toute tranquillité,
regarder les interstices de la couverture qui obstruait la fenêtre et suivre
l’exécution qui s’effectuait de la façon suivante : deux condamnés à mort
nus, étaient tenus par un employé détenu qui les conduisait au pas de course
jusqu’au mur noir en les traînant par le bras.
Là, un S.S. leur tirait un coup d’une arme à
feu munie d’un silencieux dans la nuque.
Notre rôle se borna à enlever les cadavres et
nettoyer le sang.
L’emplacement était préparé pour l’exécution
de nouvelles victimes. Une fois qu’un groupe entier était liquidé, on gardait
les corps dans le « quartier 28 » jusqu’au soir. Au crépuscule, tous
les corps, y compris ceux des autres prisonniers morts pendant la journée,
étaient empilés dans une grande voiture et conduits aux fours crématoires.
J’ai vu ainsi passer devant mes yeux 20
cadavres dont quatre femmes. Ils étaient tous Polonais. Nous avons conduit dans
une charrette couverte de bâches les cadavres à travers le camp pour les mener
au four crématoire.
Nous avons aussi défilé devant les Russes
ainsi tués. Une fois même on nous fit défiler devant un Russe abattu d’un coup
de révolver mais qui n’était pas mort ; il n’expira que trois semaines
plus tard à l’infirmerie.
Une commission venant de Katowitz désignée
sous le nom de « Sondergericht » (tribunal spécial), siégeait au
block 11. Après son départ, l’exécution des victimes avait lieu.
J’ai vu, en septembre 1942, charger trois
voitures de prisonniers tués de cette façon,, soit 240.
D’autre fois, il y eut des séries de 50, 100.
J’ai vu des exécutions se répéter depuis mon
arrivée à l’ambulance, le 24 juillet 1942, jusqu’au mois de janvier 1945, au
rythme d’une fois par semaine ou deux fois par mois.
Souvent trois ou quatre S.S. étaient habillés
en médecins et se donnaient ainsi l’air d’une commission médicale. Les Russes
étaient amenés, on les faisaient déshabiller puis on les visitait, on les
mesurait et finalement on les poussait sous une toise se trouvant contre un
déclic. La glissière, en tombant, réglait le tir et l’homme était exécuté d’une
balle dans la nuque. On retirait le corps et on passait au suivant. On
liquidait ainsi 50 ou 100 hommes qui passaient à la suite l’un de l’autre dans
une salle où le mur et le plancher étaient maculés de sang.
J’ai vu aussi des fenêtres de mon kommando
fusiller une dizaine de partisans polonais et les femmes S.S. qui nous
gardaient nous ont interdit de dire ce que nous avions vu.
En août 1940, 1 100 nouveaux Polonais
arrivèrent. Lors du premier jour, à la carrière, ils furent abattus à coups de
fusil. Au bout de cinq mois il n’en restait plus que 300.
C’est encore le cas de 40 commissaires
politiques russes que l’on fait revenir de la carrière où ils travaillent, vont
à la douche habillés et sont fusillés à la mitrailleuse vingt minutes après.
Un stand de tir était situé à la sortie du
camp. Les P.G. traversaient le camp et étaient amenés au stand. Peu de temps
après, on entendait le crépitement des M.G. Jamais on ne revoyait les P.G.
russes.
Dans un autre camp, avant qu’on ne mît les
fours crématoires en opération, la fusillade avait lieu dans le bois de
bouleaux et les corps étaient brûlés dans la longue tranchée. Plus tard,
cependant, les exécutions avaient lieu dans le grand hall de l’un des fours
crématoires qui avait été pourvu dans cette intention d’une installation
spéciale.
D’un groupe de plus de 2 000 prisonniers
de guerre soviétiques, il n’en est resté que 80, les autres ont été fusillés et
une faible portion torturée et suppliciée à mort.
Dans l’hiver 1942, les Allemands ont anéanti
ainsi près de 5 000 prisonniers de guerre russes ; par camions
automobiles on les transportait des baraquements vers les fossés de l’ancienne
carrière de pierres, où on les fusillait.
En 1943, on amenait au camp 300 officiers
soviétiques, dont deux colonels, quatre commandants, les autres ayant le grade de
capitaine et de premier lieutenant. Tous ces officiers furent fusillés au camp.
Durant l’année 1942 on fusilla en masse des
prisonniers et des habitants amenés du dehors.
Un jour, les S.S. ont amené dans 88 camions
des personnes de différentes nationalités et d’âge différent, hommes, femmes et
enfants. Arrivés dans la forêt de Krempetz, ils étaient débarqués des camions.
On leur enlevait tous les effets et objets de valeur et on les fusillait
ensuite devant des fosses creusées à l’avance. Ces fusillades en masse dans la
forêt de Krempetz furent systématiques durant l’année 1942.
Au printemps 1942, on amena au camp,
simultanément 6 000 personnes qui furent fusillées en deux jours.
Il y a eu des jours, déclare Niedzialek,
témoin oculaire de ces massacres de la polonaise, où l’on fusillait 200 à 300
personnes et plus.
Le prisonnier de guerre soviétique
Kanounnikov a été témoin de l’exécution en juillet 1943 de 40 femmes avec de
petits enfants dans le premier camp. De bon matin, les cadavres des fusillés
furent transférés au crématoire pour y être incinérés.
Le témoin Krassovkaia a informé la commission
de la fusillade en avril 1943 de trois cents femmes amenées de Grèce.
Un canal peu profond et vaseux traverse le
camp. On y mène un groupe d’Israélites par une froide journée de décembre ou de
janvier. Ils sont complétement nus, femmes et enfants, adultes et vieillards.
Les condamnés entrent dans l’eau glacée, ils n’en n’ont que jusqu’à la
ceinture. Les S.S., massés sur la rive, les contemplent et les obligent à
danser, à faire des sauts et à chanter en chœur. Ils chantent un motif composé
spécialement à leur intention.
« Nous sommes des Juifs maudits qui font
périr le monde ».
Ainsi les Israélites sautent en chantant
longtemps, quelquefois plus de deux heures, tandis que leurs corps s’enfoncent
dans la vase. Mais quelquefois le Blockführer varie le spectacle. Avant que les
victimes n’aient été englouties, il fait venir une autre escouade d’Israélites
pour repêcher et tirer de la vase les moribonds. Les nouveaux venus doivent
charger les agonisants sur leurs épaules ; ils pensent avoir sauvé leur
coreligionnaires. Ainsi chargés, on les autorise en effet à s’éloigner du
canal. Mais au lieu de regagner les baraques, on dirige les caravanes vers un
four crématoire. Les vivants doivent sauter dans les flammes en tenant sur
leurs épaules les morts et les agonisants. Ce spectacle dure aussi longtemps
que le Blockführer et autres S.S. s’en divertissent.
Un troupeau fut mené par nous l’abattoir. Les
S.S. disaient que c’étaient des Juifs et des fripouilles et nous incitaient à
frapper avec les crosses de fusil. Peu d’entre nous obéirent à cet ordre car
même les plus cruels virent que ce troupeau de femmes et de vieillards était
inoffensif.
Derrière la caserne, dans la direction de
Zutowiecze, se trouvait un grand terrain sablonneux avec des monticules. Ils
creusèrent un grand trou en faisant sauter une des pentes de ces monticules et
le massacre commença : on groupa les gens par dix, un feldwebel de la S.S.
distribuait les peines capitales, il inscrivait ou faisait semblant d’inscrire
les noms et leur disait qu’ils avaient mérité la peine de mort pour sabotage.
On fit déshabiller tout le monde, hommes et
femmes, puis on les conduisit dans le trou devant le monticule. Deux
mitrailleuses lourdes étaient placées devant eux ; quelques rafales et les
personnes s’écroulaient. C’était ensuite le tour des autres et, lorsque le
terrain, ils posèrent une cartouche de dynamite dans le monticule qu’ils firent
sauter ; de la sorte morts et agonisants furent ensevelis.
Puis la boucherie continua, sur ce nouveau
tertre jusqu’à ce qu’il n’y eût plus personne.
Je fus placé comme sentinelle sur la limite
du terrain ; j’ai encore aujourd’hui dans les oreilles les cris de ces
malheureux, de ces jeunes femmes portant leurs enfants sur les bras et de ces
jeunes filles pleines de vie qui ont été assassinées par ces brutes enivrées de
sang, les yeux hors des orbites, sous l’empire de la vodka qui leur apporta
l’oubli de leurs crimes.
Il y a dans ce camp, une salle de quarante
pieds sur vingt où on étranglait des hommes.
Le condamné n’avait même pas la chance du
nœud coulant qui lui aurait brisé la
nuque. Il était suspendu par un câble métallique et étranglé. S’il vivait
encore au bout de vingt minutes, il était assommé à coups de maillet.
Il y avait au-dessous des fours crématoires
une grande salle servant de magasin à cadavres, elle pouvait en contenir 500.
Elle servait également de salle de pendaison. Il y avait autour de la salle 52 crochets auxquels on suspendait
les victimes. Cette installation était tout à fait primaire et les détenus ne
mouraient pas par strangulation mais par asphyxie. Les exécutions étaient
faites par deux détenus de droit commun allemands, kapo et chauffeur du four
crématoire, avec l’assistance de plusieurs S.S. devant toujours être présents,
afin de constater la mort.
Les détenus qui mouraient dans la salle des
cadavres du crématoire savaient pourquoi ils mouraient, car leur conduite avait
donné un sens à leur vie et à leur mort. Un Français cria : « Vive la
France ». Un Anglais cria : « Vive la liberté, vive l’Angleterre
immortelle », un Russe s’écria : « Vive la patrie
soviétique ».
Enfin, une salle perfectionnée. Les condamnés
à mort en question étaient immédiatement conduits vers une petite porte de la
clôture de la cour arrière, à un endroit immédiatement adjacent, au coin droit
de la façade du bâtiment d’incinération. Cette porte s’ouvrait à l’intérieur
jusqu’à ce qu’elle actionne interrupteur de porte (dispositif pour bloquer les
portes) qui la maintenait dans une position parallèle au mur du bâtiment,
créant de la sorte un corridor d’environ 1m20 de large et 0m90 de hauteur. A
l’autre extrémité se trouvait une ouverture de 1m20 x 1m20, à ras du sol,
sommet d’un puits en béton de 3m90 de profondeur, et dont le fond était la
continuation du sol en béton de la chambre située à l’extrémité du sous-sol,
côté façade. Les prisonniers condamnés étaient pressés dans le puits et
s’écrasaient à quatre mètres de profondeur sur le sol en béton de la cave.
Cette chambre était la chambre de strangulation. Comme ils atteignaient le sol
après la chute, ils étaient garrotés avec un nœud coulant court à double
extrémité par les gardes S.S., puis ils étaient pendus à des crochets le long
du mur voisin, à environ 1m95 au-dessus du sol.
Le nombre des crochets était de 45. Quand une
fournée de prisonniers avait été entièrement pendue, quiconque essayait encore
de se débattre était assommé avec un maillet de bois (le maillet et le nœud
coulant sont détenus par le commandant de l’hôpital). Les corps restaient sur
les crochets jusqu’à ce que l’équipe d’incinération vint les chercher. Un
ascenseur électrique, d’une capacité évaluée à 18 corps, s’élevait vers la
chambre d’incinération qui se trouvait située directement au-dessus de la
chambre de strangulation. Le contingent journalier de 200 cadavres étaient
fourni par les 120 prisonniers qui mouraient à l’hôpital, au bâtiment
d’expériences médicales, au « Petit camp » et pas les 60 à 80
cadavres fournis par la chambre de strangulation.
La potence était devenue pour nous ne
perspective familière, tant elle fonctionnait souvent. On était pendu pour une
parole imprudente, pour une négligence au travail que l’on faisait passer pour
un acte de sabotage ou le fait de s’être réunis à plusieurs (ce qui était
qualifié de conspiration), pour avoir pris un pain dans le magasin général etc.
La séance de pendaison prenait figure de fête
chez les S.S.
Le condamné était pendu devant les S.S., le
maire du village, la gendarmerie et tous les camarades du kommando, tenus en
respect par les S.S. armés de mitraillettes.
On entendait la musique du camp célébrer la
gloire du Reich quand le dernier supplicié d’une série de 30 fut mis à mort.
Au tunnel, on donnait à la séance une note
spectaculaire spéciale : 20 condamnés étaient attachés par le cou à une
machine élévatrice ; une pression sur le bouton et les 20 suppliciés
s’élevaient ensemble, au-dessus du sol, sous les yeux de tous les travailleurs
du tunnel, rassemblés. Aussitôt après, chaque travailleur devait défiler devant
ses camarades pendus et ne point détourner les yeux sous peine de recevoir une
volée de coups de bâton.
Trois jours avant mon arrivée, des S.S. ont
pendu un jeune Polonais par le truchement d’un prisonnier – bourreau allemand –
de droit commun. Il a été pendu publiquement. On l’a bousculé et la corde était
trop longue, les pieds touchaient terre. Personne n’a bougé pour l’aider. On a
repris l’exécution jusqu’à ce que mort s’ensuive.
En représailles pour des événements inconnus,
survenus à l’extérieur du camp, on choisit encore des Polonais pour les pendre
à la vue de tous. En une seule fois on en pendit 21.
J’ai assisté également à la pendaison de six
détenus, tous communistes, (4 Allemands et 2 Polonais) qui résistèrent au
moment de la pendaison. Un a frappé avec son pied un nommé K., Rapport-Führer
S.S. le plus terrible du camp. Au moment de leur pendaison ils crièrent :
« A bas l’Allemagne hitlérienne », Vive la Russie soviétique »,
« A bas la barbarie des S.S., Vive la Pologne ».
En août 1944 furent livrés au camp des
parachutistes anglais. Les méthodes étant les mêmes, ils furent appelés à
l’entrée, gardés au cachot pendant une nuit, et le lendemain menés au four
crématoire où ils furent pendus. Les parachutistes étaient de nationalité
anglaise, américaine et française. Le « kapo » (l’interné responsable
du four crématoire) pourra en donner le chiffre exact.
34 autres aviateurs, Anglais et Canadiens,
furent pendus au début de septembre 1944.
Un jour, arrivèrent au camp 37 Anglais et
Français appartenant à l’I.S ; ils furent affectés au block 17. On ne les
envoya pas au travail. Nous ne savions quel sort leur était réservé jusqu’au
jour où ils en appelèrent 16 aux portes ; ils ne revinrent pas et j’appris
le soir qu’ils avaient été tous pendus. Je demandai des preuves et mon ami du
crématoire m’apporta des carnets de notes, des cahiers et différents papiers
leur appartenant. Nous fûmes alors fixés sur le sort qui attendait les autres.
J’ai essayé de sauver ces 21 hommes mais dans un camp de concentration la chose
n’était pas facile après avoir pris conseil de mon camarade J.R., d’Amsterdam,
nous décidâmes de nous procurer un uniforme S.S. et de les conduire hors du
camp comme s’ils étaient libérés.
J’avais déjà les feuilles vertes permettant
la sortie et il ne me manquait plus qu’un cachet de la section politique qu’un
camarade devait apposer. J.R. avait pu se procurer un uniforme S.S.
Malheureusement, un soir nous apprîmes que 17 de ces détenus étaient convoqués
aux portes pour le lendemain à 6 heures du matin. Il ne nous restait plus qu’à
préparer à la mort ces courageux garçons, ce qui fut fait par J.R. et B. et
pour les secours spirituels, par le prêtre français S. Ils furent tous fusillés
et, avant de mourir, saluèrent leur patrie et la liberté.
Il restait encore quatre détenus de ce groupe
à sauver dont deux Anglais et deux Français. Tous les quatre reçurent une
légère inoculation de typhus exanthématique et furent immédiatement admis à la
station typhus du block 46.
Au bout d’une semaine moururent, dans ce
block 46, quatre Français qui avaient servi de cobayes. Nous avons fait
l’échange des noms et des numéros matricules, affectant aux membres de l’I.S.,
les car je n' des quatre Français morts.
Quant à moi, ma tâche fut de passer les corps à la crémation la plus proche
sans attendre que la déclaration de mort soit présentée au médecin S.S. car je
n’avais pas le droit de livrer les corps à la crémation que contre attestation
spéciale de ce médecin. Tout se passa très bien et les quatre derniers détenus
furent sauvés.
Dans la prison il y avait tous les jours des
pendaisons. 7 potences y étaient installées, elles fonctionnaient totalement ou
partiellement, à peu près quotidiennement. On venait chercher les gens, par
exemple dans un kommando, on les pendait, les arrachant du travail pour les
faire mourir. On ne donnait jamais aucune raison à ces exécutions qui se
faisaient en catimini et qu’on dissimulait presque. Je vous donnerai l’exemple
d’un charpentier qu’on vint chercher en plein travail, en août 1944, et qui fut
pendu avec 36 autres détenus. Vers la fin de mon séjour, vers le mois de
février 1945, il y eut la pendaison de 60 Hollandais amenés récemment de
Hollande et ayant fait partie de la Résistance. On ne connaissait rien exactement
de leur cas. J’étais à ce moment employé comme infirmier et j’ai été amené à
dépendre sept de ces Hollandais. On les emmenait par série de sept toutes les
vingt minutes. Lorsqu’on avait constaté la mort, on exécutait une nouvelle
série.
Un de mes camarades qui avait été en prison
m’a dit que de son cachot il entendait pendre tous les jours.
Les pendaisons étaient faites au début par le
chef détenu du camp dont je n’ai pas connu le nom. Ce Lagerâltester (détenu
politique) a été remplacé dans le cours de l’hiver (car il fut transformé en
S.S.) par un autre Lagerâltester qui fut plus discret. Il s’arrangea pour
trouver trois Blocckältester qui devinrent exécuteurs volontaires.
*
* *
Toute cette tuerie était organisée
administrativement par un règlement minutieux dont les archives saisies ont
révélé tous les détails. Tous les résultats de ces procédés étaient
méthodiquement comptabilisés. Ils faisaient l’objet de compte rendus périodiques
à l’autorité supérieure.
Le commandant du camp envoyait en effet
toutes les semaines, à ses supérieurs, des imprimés dont on a retrouvé le
modèle, un état numérique des morts de la semaine, classés en cinq
catégories : les morts de maladie, les fusillés, les pendus par exécution,
les pendus par suicide (avec la corde prêtée à cet effet), les suicidés.
La liste des prisonniers du camp assassinés
était complétée sans cesse par des prisonniers de guerre soviétiques ; par
différents groupes de population, amenés des pays occupés d’Europe ;par
des groupes de populations capturés par la Gestapo dans les rues, les gares, à
domicile, pendant les rafles et les perquisitions systématiques des hitlériens,
opérés en Pologne et dans les autres pays d’Europe ainsi que par les Juifs
amenés des ghettos établis par la Gestapo en Pologne et dans les différentes
villes d’Europe occidentale.
*
* *
Un détenu allemand, nommé K., avait été
chargé par les S.S. de faire des piqûres mortelles. En principe, il devait
piquer les incurables. En fait, il désignait tous les matins ceux qui ne lui
donnaient pas leur colis, les jeunes garçons qui refusaient de se prêter à ses
vices, puis d’autres au hasard. Il les désignait à l’appel du matin et les
piquait seulement le soir pour qu’ils aient toute la journée à attendre la mort
et méditer sur leur sort.
J’ai vu moi-même un chirurgien en chef de
l’hôpital Marmottant tué par une piqûre intracardiaque de phénol.
Les adolescents aryens, pour la plupart de
jeunes Russes pris comme partisans avec leurs parents en Russie, puis de jeunes
Polonais, amenés au camp avec leurs parents, détenus politiques ou partisans,
ont été séparés en trois groupes de 50 ou 60 chacun et amenés dans la cour du
block 20 où on les fit déshabiller sous prétexte qu’ils devaient passer un
examen médical et être douchés. Par deux, ces enfants furent introduits dans le
laboratoire de ce block où ils reçurent une injection de phénol intracardiaque.
J’ai vu arriver quatre femmes, dont deux
moins étaient anglaises. Les deux autres étaient certainement françaises. Les
S.S. les ont descendues au Bunker et, dans la nuit, les ont assassinées par
piqûres, après les avoir déshabillées.
C’est de cette façon aussi qu’on se
débarrassait des bouches inutiles.
J’ai vu une camarade, Mme Block, Belge,
habitant Ostende se dérouler la scène suivante : le docteur S.S., R.
demanda devant nous à Melle Betty, jeune journaliste belge de 21 ans, la raison
de sa présence au camp ; elle répondit que c’était grâce à elle que
plusieurs boches étaient morts. Alors R. lui dit d’aller à l’infirmerie et,
devant nous, a dit aux infirmières présentes : « a supprimer ».
Dans la journée, Betty reçu un médicament, un liquide marron à boire, après
quoi elle mourut quelques heures après.
11 hommes avaient été amenés au cours des
dernières semaines dans le bâtiment des cellules où ils attendaient leur
exécution.
Je les consolais en leur disant que le régime
nazi touchait maintenant à sa fin et que les nazis n’auraient pas le temps
nécessaire de les tuer. Cela ne se passa pourtant pas ainsi. Le 25 avril, il y
eut de gros changements, on les mit deux par deux dans des cellules séparées.
En même temps le broc de café avait disparu. Je l’ai cherché et je ne l’ai pas
trouvé. J’ai donc pris un autre broc. Mais en arrivant dans la cellule des
ouvriers du four crématoire, l’inspectrice N. me mit dans la main le broc
manquant en me disant de leur porter le café. Sur le moment je ne me doutais de
rien et versai le café aux prisonniers, puis, brusquement je compris que le
café pouvait être empoisonné. L’inspectrice me fit appeler, me prit le broc des mains et versa elle-même le café
aux prisonniers.
A 10 heures on va chercher les cadavres, il
nous fallut disparaître. Tout était étrangement calme. Nous ne savions rien et
nous recommençâmes à travailler. A midi le soldat S.S.T. voulut aider à
distribuer le repas. Il se fit attendre, puis vint me chercher pour porter la
gamelle. Il alla directement à la cellule 47 où étaient ces hommes et me
dit : « servez-les ». Je compris clairement que les hommes
avaient remarqué le matin que le café était empoisonné, n’avaient rien bu et
qu’il y avait encore du poison dans le déjeuner. J’ai donc refusé de les
servir. T. me regarda consterné et plein de colère. Il me demanda ce que je
savais. Je m’en allai, lui aussi. Il revint plus tard et les servit lui-même.
Deux hommes n’avaient rien remarqué et
avaient mangé ; le soir, ils étaient morts. Le soir, c’est moi aussi qui ai
distribué la nourriture. Je regardai dans la cellule 47 et demandai s’ils
voulaient manger. Ils ont tous répondu : « oui », si c’était moi
qui les servais. Ils étaient très excités, et affirmaient qu’on allait quand
même les exécuter. J’étais moi-même fort irritée et les ait tranquillisés en
leur disant que la fin des nazis était déjà arrivée et que je porterai
témoignage pour eux. Je regrette de ne pas m’être fait donner les noms de ces
11 hommes ; c’étaient des Polonais et des Allemands, d’après la façon dont
ils parlaient.
Le lendemain matin nous apprîmes ce que nous
craignions : la cellule était vide, tous étaient partis. Seules des traces
restaient, prouvant qu’ils avaient été battus. Il y avait un marteau sur la
table, une tache de sang qu’on avait essayé de camoufler avec de la terre
noire, de même le hangar était plein de tâches de sang ainsi que les murs. Et
tout s’est donc passé comme le craignaient les travailleurs du four crématoire.
Ils ont été assassinés afin qu’il n’y ait pas de vivants qui puissent témoigner
des atrocités de ces Messieurs.
*
* *
Il est exact que les détenus tatoués aient
été assassinés et leur peau tannée. J’en ai vu 200 prêtes à partir au moment de
notre libération. Pour conserver la fraîcheur du tatouage, les hommes étaient
dépouillés immédiatement après leur exécution, alors que les corps n’étaient
pas refroidis.
C’est la femme de l’un des officiers qui
lança cette mode : tout prisonnier tatoué lui était amené ; si elle
trouvait le tatouage à son goût, le prisonnier était tué et écorché. La peau
était alors tannée et transformée en « souvenirs » (abat-jour pour
lampes, tableaux muraux, couvertures de livres, etc.). Evidemment, 40 exemples
de ces produits artistiques furent trouvés par le 1er lieutenant F.
Emmos. Et nous-mêmes en avons vu six exemples à l’état-major du camp, dont un
abat-jour de lampe.
*
* *
Au cours de la période de mai 1941 à février
1943, le camp a été garni trois fois, à raison de 8 000 hommes ;
pendant cette même période 21 000 sont mort ou ont été assassinés.
En janvier 1943, le nombre journalier des
morts s’élevait, en moyenne à 100.
41 400 Juifs hollandais furent livrés au
camp, puis transportés à Gusen, près de Mauthausen, où ils furent liquidés
jusqu’au dernier.
Un certain nombre de prêtres furent enterrés
vivants jusqu’au cour, tandis que les S.S. leur fracassaient le crâne avec des
pierres, passant sur leurs têtes de lourdes brouettes et obligeant, sous peine
de mort, les détenus, à imiter leur exemple.
La mortalité des camps, en février et mars
1943, était d’environ 500 à 600 hommes par jour sur 10 000 à 12 000
déportés. Un jour où il n’y eut que 12 morts, un S.S. fait cette
remarque : « si peu » ! On ne compte pas dans la proportion
les « gazages » de gens qui étaient numérotés au camp à cet effet.
Je ne voudrais pas passer sous silence cette
journée sinistre que rien ne pourra effacer de ma mémoire. Pendant les quatre
jours qui précèdent cette date, tous les Juifs du camp de concentration furent
employés, jour et nuit à creuser des tranchées près du four crématoire, soi-disant
pour une batterie de D.C.A. Malheureusement, ces tranchées allaient devenir
leur tombeau.
Ce jour-là, les postes de surveillance
étaient triplés ; le Feld V, ainsi que l’infirmerie, furent évacués. Tous
les Juifs, hommes, femmes et enfants, ainsi que les demi-Juifs, furent conduits
au Feld V, entre deux rangées de policiers. J’étais à cette date près du Feld V
et ils étaient tous obligés de défiler devant nous. Il en défilait toute la
journée, au pas de gymnastique. Ceux qui ne pouvaient suivre étaient abattus
sur-le-champ par des policiers. On emmenait les Juifs de partout, de la prison
de Lublin, de Pulawn, de Cholm, de Zamese, etc.
Arrivés dans le Feld V, les malheureux Juifs étaient obligés de se
déshabiller, puis ils furent dirigés sur les tranchées. On les fit coucher les
uns à côté des autres dans les tranchées. Puis le Sicherheitsdienst (S.D.) et
la Gestapo les abattaient avec leurs pistolets automatiques. On en fit coucher
d’autres sur les morts et ainsi de suite, jusqu’à ce que la tranchée soit
pleine. On fit de même dans une autre tranchée pleine. Pour couvrir les
détonations des armes automatiques, de puissants haut-parleurs diffusaient des
airs de musique assourdissants. Dix-huit mille (18 000) Juifs trouvèrent
la mort ce jour-là.
Les Allemands ont appelé cette fusillade
« Sonderbehandlung (mesure spéciale). Et c’est sous ce titre qu’un compte
rendu a été expédié à Berlin. Dans ce compte rendu, il était dit
textuellement : « La différence entre le nombre des internés du matin
et celui du soir est due à l’extermination spéciale de 18 000 personnes.
A suivre - Réactions internes
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