TRAVAIL
L’administration
centrale du camp était liée par contrat à différentes firmes industrielles
allemandes, comme Krupp Union, les Sociétés Charbonnières, etc…. auxquelles
elle devait fournir un certain contingent de détenus aptes à travailler.
Tous
les détenus sont obligés de travailler, sans exception : hommes, femmes,
vieillards, jeunes femmes enceintes, malades.
Etant
étudiant en médecine, cela ne m’a pas empêché d’être employé comme maçon,
terrassier, mineur dans les mines de sel, électricien.
Les
déportés étaient affectés aux travaux des usines de Gustloff, appartenant à
Sauckel, ministre de l’Economie Nationale, à l’usine de Mibau (appareillage de
radio électrique de guerre, D.A.W. etc.
Dans
les usines Gustloff les sections suivantes furent installées au camp :
Finissage
et montage de fusils le 23/2/42 avec 280 détenus. Usine 11, le 1/4/43 avec 51
détenus et qui s’agrandit jusqu’à occuper 3 000 détenus. Après la
destruction par le bombardement, 1 500 détenus furent employés au
déblaiement de 4 halls. Les usines de Mibau débrayèrent en novembre 43 avec 30
détenus, en novembre 44 elles en occupaient 1 500. Après le bombardement,
30 détenus seulement y furent employés aux travaux de déblaiement.
Voici
la liste des kommandos de guerre avec l’effectif des détenus y
travaillant :
Fabrique
de munitions Oberndorf
200 détenus
Gustlof
Weimar 2 252
détenus
Construction
d’avions Erla et Leipzig 948 détenus
Construction
de canons Hasag, Leipzig et Tauha 825
détenus
Usines
Junkers dans différentes villes 5 875
détenus
Usines
B.M.W. Eizenach t Abderoda 619 détenus
Usines
d’aviation Siebel, Balle 633 détenus
Bochumerverein 1 167
détenus
Hasag
dans différentes villes 3 609
détenus
Rheinmetall
Borsig, Dusseldorf 260 détenus
Braunkohlen-Benzin
A.G. Magdeburg-Troglitz 3 828
détenus
Liste des grands
kommandos dans le domaine de la Kommandantur :
Garages
militaires
Foyer
S.S.
Carrière
Porteurs
de pierres
Kommandos
de constructions 1 et 2
Kommandos
de terrasse
Kommandos
d’adduction d’eau
Kommandos
de villas S.S.
Tous
ces kommandos existaient dès le début du camp.
Leurs
effectifs augmentèrent avec celui du camp. En octobre 1942 le kommando X
s’occupa des travaux de terrasse pour les usines Gustloff. En 1943, le chemin
de fer Weimar-Buchenwald fut construit par 1 000 détenus, chiffre rond.
D’autres
travailleurs sont là pour construire les usines souterraines pour la
fabrication de V 1 et reconstruire le camp, décharger des moteurs d’avion en
pleine forêt, creuser des tranchées pur faire venir l’eau dans ces lieux. Ils
construisirent les routes qui mènent à la forêt. Tous ces travaux se faisaient
loin des civils.
Nous
travaillions aussi pour la I.G Farbenindustrie qui employait environ
40 000 civils (Polonais, Ukrainiens, Français, etc.), 10 000 détenus
et 4 à 500 prisonniers de guerre anglais.
Il
existait en outre, une section dite « Draht » (câble) confectionnant
des filets d’acier contre les sous-marins. Ce travail consistait à enrouler des
fils d’acier très rigides, non tréfilés, ce qui les rendait très rugueux et
arrachait les mains des travailleurs. Un rendement très élevé d’une section
optique où les détenus polissaient des lentilles destinées aux fabriques
allemandes d’armements. Ce travail était accompli dans une atmosphère chargé
d’un produit au gaz, je crois du tétrachlorure, provoquant une sorte d’asthme
dont plusieurs de mes camarades souffrent toujours. Ce sont principalement des
Belges qui étaient employés dans cette section, mais il y avait aussi des
Français.
Le
22 juillet 1944, dans l’après-midi, 1 400 français furent envoyés vers les
arbeitskommandos de Neckarelz et de Neckargerach (une moitié de l’effectif dans
chaque camp). Ces deux arbeitskommandos sont situés dans la vallée du Neckar à
20 kilomètres sud-est d’Edelberg. Ils fournissaient de la main-d’œuvre à
diverses entreprises en particulier :
-
A
l’installation de l’usine d’aviation souterraine de Obrigheim.
-
A
l’installation d’une usine semblable à Hochhausen.
-
A
la construction de baraques réservées aux S.S. punis ou à la construction de
baraques réservées aux populations sinistrées.
-
A
certains travaux agricoles de la région.
Le
camp d’aviation du petit Koenigsberg, par exemple, a été fait par 300 déportés
qui ont damé le terrain en le martelant avec leurs pieds durant des jours
entiers. Quand le travail fut terminé, il en restait 10.
Dans
les premiers mois, beaucoup de kommandos partaient pour faire des tranchées le
long de la frontière hollandaise et danoise. Beaucoup de détenus travaillaient
au déchargement des péniches, etc.
Aux
champs, on traînait, tels les chevaux,
des grandes voitures pour y mettre des pommes de terrer. Nous les chargions et
nous les ramenions.
Enfin
l’équipe dite des grosses pierres ; on devait soulever les pierres très
lourdes à hauteur des épaules, afin de les basculer dans les wagonnets. Les
contremaîtres s’opposaient à ce que les pierres soient soulevées à deux.
*
*
*
Le
réveil est à 3h30 du matin. Quelques minutes après commence l’appel au
garde-à-vous qui dure jusqu’à 6 heures. Le travail commence à 6h30. Avant le
départ au travail, tout le monde est fouillé minutieusement. Les internés,
habillés en bagnards, sont alignés en rang de trois et encadrés de gardes munis
de fusils et de mitraillettes.
Le
départ pour le travail se faisait au son d’une joyeuse musique. L’orchestre,
c’était un kommando de musiciens choisis parmi de vrais artistes.
Donc,
en avant, au pas militaire, en partant du pied gauche.
On
doit courir pendant tout le trajet.
Pour
se rendre au travail, certains détenus faisaient 7 kilomètres.
Nous
étions forcés de chanter sur la route. Ceux qui ne chantaient pas étaient
violemment battus.
Il
fallait également marcher avec les chaussures sur l’épaule, pour ne pas les
user.
Un
grand camion vide et quelques brancardiers suivent derrière et ceux qui
s’écartent de leur rang ou qui tombent de fatigue sont immédiatement fusillés
et chargés par les brancardiers sur le camion. Au soir, le camion ne rentre
jamais vide.
*
*
*
L’hiver,
le travail était effectué avec la neige jusqu’aux genoux et pendant 11 heures.
Il
y avait des feux qui étaient allumés, auprès desquels les kapos allaient se
chauffer, mais, bien entendu, les travailleurs n’y avaient pas droit. Il
fallait, par 20 à 25° au-dessous de zéro, saisir du matériel en fer ;
beaucoup ont eu naturellement les mains gelées.
Je
citerai le cas particulier d’un nommé R…. sujet américain, qui est venu
travailler pendant une semaine. Il est mort de froid.
Après
un certain nombre de semaines de travail, une épidémie terrible de typhus se
déclara. Les prisonniers les plus faibles moururent par centaines.
Les
prisonniers et prisonnières qui allaient travailler sous le soleil avaient des
brûlures sur tout le corps. Entrés à l’hôpital,
ils étaient immédiatement piqués et ainsi mouraient des milliers de
personnes tous les jours.
Dans
le tunnel, nous travaillions dans une poussière infernale. Il n’y avait aucune
aération, celle-ci se faisait uniquement par deux portes de tunnel distantes
l’une de l’autre de 3 kilomètres. L’atmosphère était souillée par la fumée des trains, les machines de l’usine et surtout par les
explosions de mines.
Le
travail consistait à décharger des rails et des machines qui venaient par train
à l’intérieur du tunnel car celui-ci était traversé de part en part par la
ligne de chemin de fer. Le matériel était déchargé en face des différents
halls. D’autres camarades ont été affectés au travail dans les galeries.
Les
détenus logeaient dans l’usine, dans des sapes creusées dans les parois du
tunnel où l’on avait disposé des boxes en bois à quatre étages. Il était
presque impossible de dormir.
Les
travaux de culture étaient épuisants, terribles. Les hommes perdaient, les
premiers mois, 25 kilos, qu’ils ne pouvaient naturellement plus rattraper.
Ailleurs,
le travail consistait à porter des pierres et à charger des wagonnets dans les
conditions suivantes : une benne devait être chargée par deux détenus en
10 minutes. Ensuite, toujours par les deux mêmes détenus, le wagonnet devait
être poussé sur une longueur d’une centaine de mètres pour être accroché à la
locomotive. On peut évaluer à un minimum de 50 000, les détenus qui sont
morts à ce travail.
A
Linz, les déportés qui travaillaient dans une carrière souterraine sont restés
un an sans voir le jour.
Le
travail à fournir est souvent inutile. Il consiste à porter des pierres très
lourdes d’un point à un autre de bas en haute de la carrière et à redescendre a
pas de gymnastique.
Les
Allemands ont fait faire un travail au-dessus de leurs forces – le transport de
pierres lourdes – à de nombreux groupes (1 200 personnes) de professeurs,
médecins, ingénieurs et autres spécialistes amenés de Grèce. Les S.S.
frappaient à mort les savants qui
tombaient, affaiblis par ce lourd travail. Tout ce groupe de savants grecs a
été exterminé en cinq semaines par un système de famine, de travail épuisant,
de matraquages et de meurtres.
Très
peu pouvaient supporter un tel effort.
Me
R… B…, avocat au barreau de Paris, a été tué de la façon suivante : il fut
obligé de porter des sacs de ciment de 50 kilos en courant, de revenir, de
reprendre un sac et de refaire le chemin. Il ne put résister plus d’une heure à
ce travail, on le laissa tranquille pendant une journée et, le jour suivant, le
même S.S. qui avait surveillé le kommando la veille, lui a arraché ses lunettes
et l’a obligé une fois encore à courir avec le sac de ciment sur le dos.
Fatigué, découragé, il jeta le sac de ciment et dit à ses camarades :
« Je m’en vais, au revoir ». Il partit, dépassa la ligne de
démarcation entres les postes de sentinelles et fut abattu sur-le-champ.
Il
y a des personnes qui préféraient de donner la mort en se jetant sur les fils
de fer barbelés.
Dans
certains kommandos, le travail durait douze heures, de midi à minuit ou de
minuit à midi. Jamais il n’était prélevé un instant sur temps de travail, sous
aucun prétexte. Tous les actes de la vie : sommeil, ravitaillement, repas,
hygiène, administration, visites médicales s’accomplissaient dans les neuf ou
dix heures non absorbées par le commandement qui régissait le travail. En plus
on venait nous chercher pour faire toutes les corvées du camp, porter la soupe
aux S.S., décharger les camions de ravitaillement qui arrivaient, nettoyer,
balayer différents endroits du camp. Pour ces corvées, c’étaient des Français
qui étaient toujours choisis.
Ils
étaient éreintés de leur terrible journée de travail et de toutes les corvées.
Ils étaient tous sales et dans un état de dépression physique épouvantable.
Après
une journée de travail harassant dans les carrières, tous les internés doivent
subir encore la torture d’un appel au garde-à-vous qui dure 2 heures, et parfois
de minuit à 7 heures.
Il
n’y avait aucun repos de prévu pour les détenus. Entre les heures de travail,
dans la cour du camp, il était formellement interdit de s’arrêter, de
s’asseoir.
Quelquefois
les S.S., pour s’amuser, nous faisaient faire du « sport » et en une
demi-heure ils nous fatiguaient plus qu’en une semaine de travail.
Dans
les blocks, le repos était impossible pour deux raisons : la lumière
continuelle et ensuite, le va-et-vient incessant.
17
heures de travail et 2 heures de sommeil.
Une
des grosses raisons de fatigue était le changement de « shicht »
(équipe). Lorsque nous changions, nous devions travailler 24 heures
consécutives. La surveillance des S.S. était alors affreuse car les prisonniers
s’endormaient sur place c’était l’occasion de distribuer de nouveaux coups de
cravache. Ces changements avaient lieu, soit toutes les semaines, soit tous les
quinze jours.
Il
nous est arrivé de rester de 4 heures du matin à 5 heures du soir dans la cour
d’appel sous prétexte de photographie et ensuite nous fûmes envoyés à l’usine
pour prendre notre travail jusqu’au lendemain à 6 heures. Comme nous n’avions
pas été photographiés la veille, on nous a rassemblés soi-disant pour nous
photographier, jusqu’à 1 heure de l’après-midi. Nous sommes donc restés 32
heures debout.
Aucun
repos le dimanche.
Il
n’y avait ni fête, ni dimanche même pour le 1er de l’An.
Nous
avions un dimanche par mois de libre où l’on n’allait pas travailler au
kommando et ce dimanche était terrible car il fallait travailler au camp où
l’on était battu.
D’autres
fois, nous le passions en appels.
L’alimentation
était tout juste suffisante pour empêcher un homme de mourir de faim et
absolument insuffisante pour lui permettre de faire un travail de quelque
efficacité, si minime fût-il.
Nous
ne disposions que d’une demi-heure pour manger. La soupe est donnée dans un
baraquement où les hommes ne devraient être que 150. Ils sont 1 500,
tellement serrés que les nouveaux arrivés oublient de manger ne réalisant pas
encore le genre de gymnastique nécessaire pour se faire servir et avaler une
soupe dans une position aussi incommode. Comme dans la demi-heure accordée sont
compris l’entrée, le service et la sortie, il faut faire vite pour évacuer tant
de monde et cette sortie et activée par un « vert » (criminel de
droit commun allemand portant une marque verte et qui a le droit de vie ou de
mort sur les prisonniers) monté sur un tonneau et muni d’un énorme gourdin, qui
assomme les hommes au passage : 10 ou 15 victimes chaque fois.
Quelquefois
nous n’avons qu’un quart d’heure de pose pour la soupe et le plus souvent on
nous faisait mettre à genoux pour la distribution.
Il
y avait des jours où les hommes de toutes ces parties de l’Europe travaillant
sans cesse la journée, ne recevaient pas leur soupe à midi sur leurs lieux de
travail. Ils rentraient le soir au camp à 4 heures, étant partis le matin à 3
heures.
La
durée de service avec cette nourriture est en moyenne de 6 mois pour un être
normal. Elle tombe à deux mois pour un être faible. L’individu consomme d’abord
sa graisse, puis ses muscles et il perd 30 à 35% de son poids.
Il
est naturel que beaucoup d’entre eux tombent exténués. Pour ces malheureux
c’était le signe d’une fin très proche.
*
*
*
Les
déportés partaient le matin au travail par 50, avec un kapo. On déclarait donc
50 rations. Si le soir, il ne ramenait que 40 ou 45 déportés, les rations lui
appartenaient.
D’autre
part, quand un poste ramenait 15 morts, il avait 15 jours de permission.
J’ai
entendu un jour la conversation suivante entre deux Allemand : un kapo et
un S.S.
« Combien
aujourd’hui ? » -« Cinq, répondait l’autre. » -
« C’est peu, répliquait le premier. » - « Je tâcherais de faire
10 demain. »
Il
s’agissait de tuer des détenus.
J’ai
vu un kapo tenir la tête d’un déporté sous l’eau jusqu’à e que la mort
s’ensuive.
J’ai
vu maltraiter et faire mourir un Américain d’origine italienne qui s’appelait
C.L, né en août 1901 à New-York, qui avait eu les pieds gelés et qu’on a obligé
à travailler malgré ses blessures. On le pansait avec du papier et on le
renvoyait travailler dans la neige. Il est mort en 12 jours.
Le
travail qui fut imposé à des camarades de captivité consistait à mettre de la
chaux dans les wagonnets. N’ayant aucune pelle, ils étaient obligés de prendre
cette chaux avec les mains. Un jour de vent, une jeune israélite reçut dans les
yeux de la chaux vive, il s’en est plaint au S.S. de gare qui l’a attiré un peu
plus loin et l’a abattu d’un coup de revolver.
Chaque
homme qui tombait rapportait en plus 60 marks à condition que ce fût au cours
d’une tentative d’évasion. Pour cela les S.S. prenaient la coiffure de l’un de
nous, qu’ils jetaient entre deux rangées de fils de fer barbelés éloignées de
10 mètres l’une de l’autre et qui était considérée comme zone d’évasion. Ils
ordonnaient au propriétaire de la coiffure d’aller la chercher et lorsque
l’homme se rendait à l’ordre et allait dans cette zone, automatiquement la
sentinelle du mirador tirait et le tuait. Lorsque l’homme refusait d’aller
chercher la coiffure, le S.S. envoyait son chien qui déchirait littéralement le
prisonnier.
Il
y a lieu de noter que très souvent les postes de surveillance se déplaçaient de
sorte que les détenus de sorte que les détenus pouvaient se trouver en dehors
de la ligne de démarcation sans le savoir et qu’ils étaient abattus.
*
*
*
Les
détenus étaient encadrés par des S.S. qui avaient le droit de les frapper, de
lancer sur eux des chiens qui les mordaient cruellement et de les abattre pour
toutes soi-disant tentatives d’évasion. Les S.S. du camp ont exercé ce droit
avec férocité.
Les
contremaîtres, des criminels de droit commun, spécialement choisis pour plaire
aux bourreaux du camp t pour mieux mériter leurs privilèges, aidaient à
torturer les internés.
Le
travail était surveillé par le kapo. Ce dernier était responsable de l’effort
des détenus en ce sens qu’il devait stimuler le travail en les battant d’un
coup de bâton au besoin et lorsque le rendement forcé n’était pas obtenu, il
recevait lui-même 25 coups de bâton, à moins qu’il ne prouve qu’il avait,
pendant le travail, battu les détenus, en montrant les traces des coups sur le
corps des victimes.
Nous
travaillions constamment sous les coups nous donnaient les contremaîtres, les
Vorabeiter ou les Kapos.
Nous
avons été traités avec une extrême sauvagerie. On nous battait sans raison.
Qu’on
travaille bien ou mal, on était battu.
Un
jour, dans le tunnel, je vis venir à moi, deux officiers S.S. L’un d’eux
vociférait et me frappa d’un violent coup de poing à la tête. Je tombai sur le
béton et perdis connaissance. Quand je revins à moi, il avait disparu. Je n’ai
jamais su pourquoi j’avais été frappé.
Le
sous-directeur de la mine avait coutume de descendre à la mine deux fois par
semaine. Avant que nous ne puissions le voir arriver su nous, et sans aucun motif,
il frappait les Juifs à tour de rôle avec une canne ferrée en disant qu’il nous
battait parce que nous étions Juifs et les Juifs étaient responsables de la
guerre. Il disait : « Vous, chiens, on vous tuera tous ici ».
Les Polonais qui travaillaient avec nous n’avaient pas le droit de nous
parler ; ils nous ont dit qu’avant notre arrivée c’étaient eux qui étaient
battus et qu’ils étaient bien contents que des Juifs prennent leur place.
On
nous a prévenus que le chef de block était fou et qu’il fallait s’en méfier. En
effet, il passait parmi nous une énorme cravache formée d’un gros fil
téléphonique de 1 centimètre de diamètre et frappait au hasard dans les rangs.
J’ai
vu aussi de nombreuses fois dans l’enclos du Revier où étaient situés mes
services, sortir de nombreux Français invalides qui travaillaient au
« Holzhaufeln » (ramassage et mise en tas de bois) ; des
sous-officiers S.S. venant à contre-sens lles frappaient à coups de poing
jusqu’à ce qu’ils fussent tombés. Lorsqu’ils étaient à terre, ils les
frappaient à coups de pied dans la poitrine.
Au
cours de son travail, le kapo du kommando « Petersen », n’étant pas
content du travail fourni, a obligé un
interné à se mettre à quatre pattes et, avec une grosse poutre, l’a frappé sur
la région lombaire. Le malheureux fut amené à l’hôpital avec une fracture de
trois vertèbres qui entraîna sa mort en quarante-huit heures.
Chaque
jour on nous faisait sortir dans les champs pour trier les pommes de terre. Dix
heures de travail accroupis sur les genoux. Si un détenu s’asseyait à terre,
s’il se redressait, il recevait immédiatement un coup de matraques de fer. S’il
n’était pas mort, il était certain d’avoir un bras, une jambe ou une côte
cassé.
Combien
de dos meurtris ou de crânes fendus ai-je
vus !
Le
travail au kommando était toujours accompagné de coups de pied, de coups de
poing, de coups de matraques en caoutchouc, de coups de bâton ou de manche de
pelle.
Dans
certains travaux, les coups pleuvaient continuellement. Pour les détenus qui
avaient à pousser les wagonnets, par exemple, chaque fois qu’un wagonnet
passait devant les S.S., ces derniers frappaient ceux qui le poussaient. Aux
travaux de terrassement c’était le même chose, les S.S. frappaient sans
relâche.
On
peut dire que les détenus affectés à ces kommandos n’avaient pas de chance de
revenir.
Les
gardiens S.S. assuraient sans cesse aux prisonniers qu’ils ne sortiraient pas
vivants. Les prisonniers vivaient dans une atmosphère de violence et
d’inquiétude constante.
Là,
comme dans tous les camps, beaucoup de détenus sont morts des suites de la
multiplicité des coups reçus sans motifs.
*
* *
Le
travail était fait en courant.
Il
est d’ailleurs interdit à tout détenu de se déplacer autrement qu’au pas de
gymnastique.
Il
n’était pas permis de s’arrêter, ne fût-ce que pendant quelques secondes.
Il
fallait être toujours en mouvement.
Il
fallait courir avec une charge énorme, vu la faiblesse de l’homme. Lorsqu’on
était tombé, les S.S. vous écrasaient à coups de botte. Si vous aviez un camarade
tombé devant vous, vous deviez marcher dessus, sans cela c’était la mort.
Si
une personne était surprise en train de flâner, elle était punie. Ces punitions
étaient toujours des châtiments corporels variant entre quelques coups de
cravache et des mouvements d’assouplissement exécutés lentement. Toute mauvaise
exécution était punie par des coups de cravache. Il y avait également les 25
coups sur les fesses ; la victime était déculotté, maîtrisé par deux
prisonniers appelés par les S.S. et recevait 25 coups en comptant à haute voix.
Les
détenus considérés comme Juifs étaient l’objet de sévices particulièrement
odieux.
Quelle
que fût sa conditions physique, un Juif ne pouvait pas tenir plus de 2
semaines. Un Juif, par exemple, capable de faire son travail à une vitesse
double (comme pousser une brouette lourdement chargée), devenait, selon toute
probabilité, incapable de continuer ainsi à la longue. S’il montrait des signes
de relâchement, il était sûr de se faire tuer au départ à coups de manche de pelle
ou de pioche.
Le
travail dans la carrière est un véritable travail de bagne.
A
cette époque, tous les Juifs devaient travailler dans l’escouade de
terrassement. Il leur fallait gravir au pas de gymnastique une pente rapide de
gravier. Au sommet, des S.S. et des kapos vérifiaient leur travail et la
vitesse à laquelle il était accompli et quand ils estimaient que l’un d’eux
« flânait », il était tout simplement repoussé en arrière à son
arrivée en haut et dévalait la pente avec sa brouette chargée. C’était pour les
gardes un passe-temps favori.
L’outillage
de travail dans les carrières est presque inexistant. Les malheureux doivent
transporter les grosses pierres sur leur dos.
Un
long escalier de 180 marches taillé dans la roche, mène des carrières au dehors
et c’est par cet escalier que les internés exténués doivent accomplir leur
travail. Très souvent à bout de force ils t, ils dégringolent, écrasés, en bas.
Cela arrive surtout lors du transport de pierres de quelques centaines de
kilos. Quatre ou six internés les portent sur leur dos, et au moindre
trébuchement de l’un d’eux, tous tombent écrasés. Ces sores d’accidents, si
l’on peut les appeler ainsi, ont lieu quotidiennement. Moi-même j’en ai été
deux fois témoins.
Dans
un convoi étaient arrivés deux de ces malheureux Juifs. L’un dont je ne me
souviens que du nom de famille : C…; l’autre jeune franc-tireur, étudiant
en médecine de 4ème année, dénommé Jean R… Ces deux camarades furent
mis avec les 20 Juifs existant déjà dans le block. Ils devaient dormir sous les
lits où on les rentrait à coups de pied et le nerf de bœuf. Ils étaient
affectés à un kommando spécial « Lagerbauer ». Il s’agissait de la
construction de l’infirmerie. Le chef de ce kommando, criminel de droit commun,
était connu sous le nom de « Jim la Terreur ».
On
lui doit personnellement la mort de tous les Juifs venus au camp jusqu’en
juillet 1943, date où il fut incorporé dans les S.S.
Tour
à tour, les détenus juifs étaient avertis 8 jours à l’avance de la date de leur
mort. Lorsque cette date n’était pas arrivée et que les coups avaient été trop
forts, la victime n’était pas frappée pendant quelques jours jusqu’à ce qu’elle
ait repris suffisamment de force. C.. mourut, si mes souvenirs sont exacts,
vers la fin de juin 1943.
R…
plus résistant et dont le moral était excellent, put résister jusqu’à fin
juillet, début août. J’allais le voir chaque sir en revenant de mon travail.
Deux jours avant sa mort, il m’annonça que les kapos lui avaient dit qu’il
serait exécuté le surlendemain. Les deux derniers jours furent pour lui un
véritable martyre. A l’ordre d’aller à la limite au-delà de laquelle on se
faisait fusiller, il refusa et il fut conduit par le kapo ; la sentinelle
S.S. tira. Il fut tué à la deuxième balle. J’ai vu moi-même son cadavre
remonter. La cartothèque du camp porte : « Mort au cours d’une
tentative d’évasion ».
D’autres
furent exterminés de la façon suivante : on les faisait descendre dans les
trous, remonter à l’échelle des pierres de 100 kilos et au bout d’un jour ou
deux de ce travail, on leur donnait une corde pour qu’ils se pendent. Si le
détenu refusait de se pendre, le kapo l’y aidait.
Il
y avait des exécutions presque chaque semaine pour des motifs allant du vol
d’un litre de soupe jusqu’au soi-disant sabotage. (Le sabotage était impossible
dans le tunnel, chaque vis étant contrôlée deux fois par des spécialiste de la
Luftwaffe).
Il
y a eu de nombreuses pendaisons, mais ce qui nous a frappé le plus par son
horreur c’était la pendaison simultanée de 32 détenus à l’aide d’un palan
électrique. Nous étions obligés de rester devant, pour regarder. (Ces 32
pendaisons avaient pour motif le soi-disant sabotage). Les kapos et vorarbeiter
nous frappaient si nous ne regardions pas. Nos camarades allaient à l’exécution
garrotés par un morceau de bois. Le lendemain, 56 autres détenus ont été pendus
pour un motif que nous ignorons.
J’ai
travaillé 14 mois dans une usine d’armement. Il y eut un acte de sabotage dans
la fabrication des explosifs. Les Polonais qui en furent les auteurs, furent
pendus.
Si,
harassés de fatigue, ayant mal travaillé pendant la journée, on avait
mécontenté d’une façon quelconque le S.S. de garde, on était envoyé le soir à
la potence, puis au four crématoire.
*
* *
Le
soir nous devions rentrer. Si l’homme était à l’agonie, il était obligé de
marcher quand même. C’est ainsi qu’est mort le frère d’un rédacteur d’un
journal américain.
Nous
emportions avec nous les camarades tués ; chaque cadavre était transporté
par 4 détenus.
Pendant
mon séjour à la carrière, c’est-à-dire jusqu’en juin 1944, il ne se passait pas
de jour où les détenus remontant au camp n’aient pas à remonter des civières en
nombre variant de 2 à 10, chargées de morts ; détenus maltraités par les S.S.
ou même par le kapo, ayant succombé à leurs blessures.
Les
internés partaient à 200 et rentraient à 120. Si le soir ils étaient 150, il y
en avait 30 à éliminer. Le kapo demandait à un interné un chiffre ; si la
réponse était 10, par exemple, tous les hommes sur lesquels tombaient ce
chiffre, quand le S.S. comptait étaient obligés de sortir du rang. Pour eux
c’était la mort.
Dans
un kommando (construction d’une usine souterraine) le directeur se vantait de
faire mourir ses ouvriers en mois de 6 semaines (privation de sommeil et de
nourriture, travail exténuant, tous les mouvements se faisaient au pas de
gymnastique ; ceux qui avaient une défaillance étaient assommés sur
place). Les rares survivants étaient ramenés au camp dans le block dit « d’extermination »
pour y mourir d’épuisement.
Les
camarades mouraient comme des mouches. On les entassait comme des sacs et ils
attendaient un ou deux jours que les équipes spéciales de brouettes viennent
les chercher de l’extérieur.
La
mortalité était si élevée que chaque jour dans notre groupe de 200 il y avait
30 à 35 morts. Un grand nombre devaient simplement leur mort aux coups que
distribuaient sans la moindre raison les surveillants et les kapos pendant le
travail. Les vides causés dans nos rangs par ces blessés étaient comblés
quotidiennement par d’autres prisonniers.
La
plus grande mortalité était enregistrée dans les kommandos extérieurs. Le 2
janvier 1945, le kommando S III était composé de 3 000 personnes, le 22
février on nous comme devant revenir de ce camp, 1 500 déportés fatigués,
renvoyés au repos. Arrivés à la gare, plus de 200 déportés étaient déjà morts.
De la gare jusqu’au camp 160 autres mouraient. De tout ce kommando il n’est
resté finalement que 50 personnes. Dans un autre kommando qui contenait
4 000 Juifs, il y a eu 3 600 morts.
Sur
1 800 détenus, 600 sont morts en 6 semaines. Ailleurs, sur 1 000 il
ne restait plus que 280 survivants au bout de trois semaines.
La
proportion des morts en deux ou trois mois était de 70 à 80%
En
réalité, nous étions tous condamnés à mort, seul l’intérêt allemand nous
donnait un sursis. Nous étions tous destinés à connaître un jour l’inanition
mortelle ou le wagon de transport transformé en étouffoir ou la chambre à gaz
ou n’importe quel autre procédé d’extermination.
A suivre - Travail-Femmes
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