TRAVAIL-FEMMES
C’était
un vrai marché d’esclaves. Lorsqu’un directeur d’usine avait besoin de 500
femmes, par exemple, il se rendait au camp en faisant savoir que pour une date
donnée il lui fallait 500 femmes. On réunissait tout le block en hâte, nous
nous mettions en file par cinq.
On
nous faisait passer l’une derrière l’autre, devant un bureau en plein air que
semblait présider une sorte de marchand d’esclaves. Cet individu examinait nos
yeux, nos mains, notre allure, puis nous délivrait un petit morceau de papier
énigmatique portant les lettres « K.W. », suivies d’un chiffre. Ce
petit bout de papier contenait notre affectation de travail.
En
dehors des différentes corvées du camp, particulièrement le travail de sable et
des ordures, tous les emplois étaient tenus par des femmes.
Des
travaux déjà très durs pour les hommes étaient monnaie courante pour les
femmes. Elles posaient des rails, poussaient des wagonnets, tiraient des
rouleaux compresseurs pour les pavés, étaient plombières, couvreurs,
réparateurs de lavabos, faisaient du bois, abattaient des arbres, déchargeaient
des bateaux, faisaient des routes, asséchaient les marais, traînaient le
rouleau. J’ai traîné personnellement le rouleau avec 19 compagnes.
Beaucoup
de femmes étaient employées à faire du mortier, des tranchées, décharger des
wagons de sac de ciment, du charbon à la pelle.
A
Hanovre, nous travaillâmes à la Continental dans la section qui fabriquait les
masques à gaz.
Dans
le camp, il y avait également des ateliers de tissage, de couture, la
fabrication des équipements militaires : uniformes de prisonniers, de
soldats, camouflage intérieur, récupérations des vieux uniformes, car les morts
étaient déshabillés et leurs vêtements utilisés.
De
nombreuses femmes étaient employées à découdre des uniformes d’Allemands morts.
elles devaient travailler sur ces vêtements sales et maculés, ensuite manger
leur soupe avec leurs mains souillées.
Notre
hall fabriquait des ailes gauches de Messerschmidt 109.
Certaines
femmes travaillaient à l’usine Siemens (appareillage électrique).
Mon
travail consistait à percer des trous de 8 millimètres dans l’acier ou le
duralumin avec un marteau pneumatique pesant 7 kilos. Je devais manier ce
marteau durant toute la durée du travail, c’est-à-dire 12 heures.
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* *
Toutes
ces femmes qui faisaient des métiers d’hommes, et même celles qui travaillaient
à des métiers de femmes, comme le tissage par exemple, devaient fournir un
rendement maximum, ce qui ne permettait pas de relever la tête un seul instant.
C’était
un travail à la chaîne, dont le rendement fut accéléré de plus en plus. Au
début, si la chaîne passait tous les trois heures, à la fin de notre séjour
elle passait toutes les 40 minutes, ce qui ne laissait pratiquement aucun
instant disponible.
Pour
augmenter le rendement, les Allemands employaient le moyen suivant : ils
proposaient des primes qui consistaient en argent ou en colis de la Croix-Rouge
volés aux autres internés. Lorsqu’une femme particulièrement habile, ou ayant
un métier correspondant au travail à fournir, arriver à donner un rendement
supérieur, elle touchait la prime. Mais les S.S. exigeaient, aussitôt après, de
toutes les internées un rendement correspondant sous prétexte que si l’une
avait pu le faire, il n’y avait aucun raison pour que les autres n’en fassent
pas autant.
Les
rares Françaises à qui on avait offert les primes de rendement les ont
catégoriquement refusées, attitude tout à fait courageuse, car ces primes sont
destinées à des denrées alimentaires qui, bien qu’insuffisantes, seraient d’un
grand secours dans un camp où l’on meurt de faim.
Malgré
tout, le rendement est à peu près nul depuis quelque temps. Nous sommes quand
même obligées de faire semblant de travailler, sous peine de nous voir
brutalement précipiter sous un robinet d’eau froide.
Il
convient de signaler que les camarades, toutes Françaises politiques, sont
considérées par nos ennemis comme les plus mauvaises ouvrières.
*
* *
Les
conditions de travail étaient terribles.
12
heures par jour ou 12 heures par nuit.
12
heures durant, vous êtes péniblement penchée sur des machines.
Certaines
travaillent 14 heures par jour ; elles se lèvent à 4 heures du matin et
finissent le soir vers 6 heures.
Quant à
nous, on nous faisait travailler sans pitié de 8 heures du matin à 1 heure du
matin.
Lorsque
notre équipe faisait la nuit, nous ne dormions pratiquement que trois heures
par jour. En rentrant au camp, les gardiens trouvaient toujours des corvées à
nous faire faire : décharger les wagons de pommes de terre, charbon,
choux. Il y avait toujours quelque chose à décharger.
Un
certain type de voitures avait été conçu spécialement pour être tirées par des
femmes.
On
nous attelait à 30 avec des courroies et on nous faisait ainsi porter du
charbon.
Et
il nous fallait partir travailler la nuit tout de même.
A
l’usine il m’était interdit de m’asseoir.
En
août 1944, nous avions une camarade fatiguée, nommée G.L., qui a demandé de
changer son travail de tressage des joncs, qui l’obligeait à rester debout
constamment, contre le tressage des feuilles de maïs, qui pouvait se faire
assis. La surveillante a refusé. Une semaine après,
notre camarade mourait.
Dans
les premiers mois, je fis partie d’un kommando chargé de l’assèchement des
marais. Il fallait enlever la vase, l’eau était glacée, nous en avions souvent
jusqu’aux genoux ou à mi-cuisses.
Nous
devions naturellement travailler par tous les temps. On envoyait les femmes au
dehors, avec une température de mois de
30 à 35°, pour construire des routes ou encore pour balayer la neige, pour les
remettre en état etc…
Pour
essayer de résister au froid, nous nous enveloppions les pieds de chiffons et
de papiers.
Nous
étions constamment fouillées afin de vérifier si nous n’en dissimulions pas.
Il
y avait défense absolue de glisser le moindre bout de carton sous ses vêtements
pour se tenir plus chaud ou tout au moins pour avoir un peu moins froid.
Alors
que j’étais bien malade, mes camarades demandèrent que soit déplacée la
dernière machine qui se trouvait près du contremaître pour que je n’ai pas le
courant d’air dans le dos (fenêtre ouverte), mais malgré leur insistance, il
s’est toujours refusé à ce geste d’humanité, en déclarant : « Cela
n’a pas d’importance si elle meurt ».
Ces
pauvres femmes pleuraient de faim et de froid.
Mais
elles souffraient surtout de la soif quand ce n’était pas de la maladie.
Lorsque
je rentrais le soir avec une bouteille d’eau destinée à soulager les camarades
françaises qui étaient avec moi, je marchais sur des femmes hurlant. Je savais
quel bien leur aurait fait une simple goutte d’eau, mais malheureusement il
fallait que je pense d’abord à soulager les huit camarades avec lesquelles
j’étais venue.
Pendant
le travail, nous devions aller aux cabinets à heures fixes. Cette mesure nous
était particulièrement odieuse, car nous étions atteintes de dysenterie.
Notre
nouveau métier nous avait été enseigné par des ouvriers civils allemands ;
certains n’étaient pas trop mauvais, mais la plupart battaient les femmes, les
dénonçaient au commandant lorsque le travail n’était pas fait impeccablement,
ce qui leur valait des coups de schlague et quelquefois le retour au camp pour
être affecté dans les camps de représailles.
Le
travail était exécuté sous la surveillance d’Offizierinnen assistées
d’Aufscherinnen qui nous harcelaient lorsque nous voulions nous reposer ou nous
cacher des Allemands qui nous frappaient, et signalaient les infractions au
règlement que nous pouvions commettre, notamment le ramassage des herbes et des
feuilles d’arbres qui constituaient le supplément de notre alimentation.
Nous
étions battues absolument sans raison, tout simplement parce que les S.S.
trouvaient que le rendement n’était pas assez grand. Ils battaient n’importe qui,
celles qui travaillaient et les autres.
Si
les femmes levaient la tête ou ralentissaient le travail, un S.S. les battait.
L’un d’eux a tué plusieurs de nos compagnes en les jetant à terre, les battant
avec une clef anglaise et les achevant à coups de pied.
Un
jour, je suis tombée trois fois car je n’en pouvais plus. Les S.S. qui nous
gardaient nous donnaient des coups de cravache pour nous faire relever.
Dans
chaque atelier, un ou deux S.S. contrôlaient le travail, un gourdin à la main,
frappant parfois jusqu’à la mort au moindre geste de lassitude.
Nous
étions aussi surveillées par les femmes S.S. qui nous battaient à propos de
rien. Quelques-unes se sont montrées spécialement ignobles. Nous les désignons
sous les noms suivants : la Panthère, le Fauve, le Roquet, la Chinoise et
la Grosse Vache.
Lorsque
certaines de nos camarades se rendaient parfois aux W.C. sans y être
autorisées, elles étaient alors battues comme plâtre à leur retour.
J’ai
vu une ouvrière le front fendu en deux par une S.S. qui l’avait jetée contre sa
machine à coudre, uniquement parce qu’elle parlait.
J’ai
vu des femmes S.S. frapper avec le fouet les détenues femmes jusqu’à ce que
mort s’ensuive.
Les
internées n’étaient pas seulement constamment frappées par les hommes et les
femmes S.S., mais également mordues par les chiens.
En
effet, les S.S. qui nous frappaient à coups de crosse de fusil ou de nerf de
bœuf lançaient souvent les chiens sur nous.
Ces
chiens étaient épouvantables, ils étaient affamés et mordaient à pleines dents.
Les
femmes en avaient une telle peur qu’elles en étaient malades toute la journée.
Les
chiens étaient lâchés aussi dans le dortoir pour nous faire lever.
A suivre ETATS SANITAIRES -Maladies
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