GAZAGE ET CRÉMATION
A leur arrivée au lieu d’exécution, lequel
était entouré d’une double haie de barbelés, les hommes, les femmes et les
enfants devaient se déshabiller entièrement et on donnait à chacun une serviette
et un morceau de savon. Ensuite on les conduisait dans le bâtiment jusqu’à ce
qu’il fût complètement rempli.
Une fois les femmes n’ont pas voulu se
déshabiller. Une d’entre elles, une Juive italienne a sauté sur un officier
S.S. lui a arraché son révolver et l’a tué dans la chambre à gaz et elle en a
blessé un autre.
Parmi beaucoup d’autres, un cas reste
particulièrement gravé dans ma mémoire. J’étais depuis deux ou trois semaines
dans le camp lorsqu’un groupe d’environ 200 Israélites venus de Belgique y fit
son apparition. On les dirigea tous vers les cabines de gaz pour y être
asphyxiés. Parmi eux se trouvait une jeune Israélite d’une merveilleuse beauté,
elle tenait dans ses bras un bébé d’environ trois ans.
Le chef S.S. la remarqua et lui dit :
« Venez avec moi dans la baraque, je veux retarder votre fin de quelques
heures ». La jeune femme, pour toute réponse, désigna l’enfant qu’elle
tenait dans ses bras. « Qu’à cela ne tienne » s’exclama le chef S.S.
et il prit le petit des bras de sa mère. L’enfant se mit à rire croyant que
l’officier voulait jouer avec lui, il se pencha vers l’Allemand
vraisemblablement pour l’embrasser. Alors l’homme, pour toute réponse, prit son
élan et brisa la tête du petit contre le mur de ciment. L’enfant n’eut pas même
le temps de pousser un cri. Mais la jeune mère réussit à saisir le revolver qui
pendait à la ceinture de l’Allemand et l’abattit ainsi que plusieurs autres
S.S..
On s’empara d’elle ; elle fut suppliciée
dans l’antichambre même de l’édifice des asphyxiants.
Dès que les chambres étaient pleines il est
arrivé que les bourreaux S.S. décidaient de faire jeter les adultes par-dessus
les adultes.
Dans un convoi de femmes juives, l’une
d’elles ayant un bébé de sept mois, fut séparée de celui-ci avant de passer à
la chambre à gaz, l’enfant étant laissé dehors. Un S.S. s’apercevant que
l’enfant avait été oublié le prit par une jambe et lui fracassa la tête le long
du mur.
Un jour, le Oberscharführer tint le langage
suivant aux internés enfermés dans la chambre à gaz :
« Messieurs, après avoir dévalisé le
monde, vous êtes venus à Birkenau. Ici chacun doit travailler dans son métier,
les médecins, les ingénieurs, avocats, etc… Mettez-vous ensemble.
Déshabillez-vous, mettez bien vos affaires pour les retrouver à la sortie.
Aidez-vous à bien vous désinfecter, car vous venez de pays où il y a des
épidémies et, pour cela, poussez-vous bien les uns contre les autres, de façon
qu’on ne soit pas obligé de vous faire recommencer l’opération deux fois.
Les prisonniers obéirent ; les derniers
poussés dans la casemate, cette fois-là, furent les médecins.
Avant de fermer la porte de a casemate, le
Oberscharführer, avec un rire satanique, leur cria : « Und jetzt
werden Sie sterben wie die Ochsen » (et maintenant vous allez mourir comme
des bœufs).
La manière d’opérer bien établie était
d’empiler les adultes nus, hommes et femmes ensembles, si serrés qu’ils ne
pouvaient pas bouger. Les enfants généralement étaient saisis par les chevilles
par les S.S. et la tête écrasée contre une pierre. Leurs corps étaient alors
jetés sur les têtes de leurs parents et la porte fermée.
Oh ! Mon Dieu quelles visions
apocalyptiques : ces cris de mères implorant pitié pour leurs enfants qui,
bien souvent, se trouvaient dans la même chambre ou celle d’à côté. Ces enfants
réclamant leurs parents, ces frères, ces sœurs, implorant encore Dieu et
espérant sa clémence alors qu’ils se trouvaient au seuil de la mort. Ces
plaintes, ces cris de désespoir, ces traces d’ongles sur les murs de ces
terribles salles, je ne les oublierai jamais.
*
* *
Une fois toutes les portes fermées
hermétiquement, l’ai était raréfiée par des aspirateurs afin de diminuer la
quantité d’oxygène et accélérer ainsi l’asphyxie.
Par une ouverture du plafond, les Allemands
jetaient dans une colonne formée de fil de fer, située au milieu de la pièce,
des récipients. Le contenu des récipients a été analysé à l’effet d’établir la
teneur en acide cyanhydrique par la formation du bleu de Prusse, par le papier
de tournesol benzidinocyanate et par le
picrate de sodium. On a prélevé des échantillons dans 18 boîtes et on a obtenu
48 réactions.
Ainsi, le contenu analysé des boîtes
constitue une préparation de « Zyklon B » composé de Kieselgahr ou silice à granules
spécialement préparée, chaque granule étant de la grosseur de 1 cm et imbibé
d’acide cyanhydrique liquide, stable. Le contenu des boîtes découvertes en
quantité dans le camp et étiquetée « Zyklon » est identique au
« Zyklon B ». Les échantillons de gaz prélevés dans cinq ballons ont
été vérifiés à l’effet d’établir la présence de l’oxyde de carbone par la
réaction avec le quinoxyde d’iode et le papier réactif chloro-palladeux.
Chaque récipient était percé de quatre trous
par lesquels se dégageait le gaz. La colonne de fil de fer empêchait les
détenus de s’approcher du récipient et le boucher avec leurs mains les trous.
Le gaz se dégageait donc asphyxiait.
Des ventilateurs sont actionnés et activent
la répartition du gaz dans toute la pièce.
Les détenus placés auprès de la colonne de
fil de fer mouraient en six ou sept minutes, ceux qui étaient plus éloignés
étaient asphyxiés en huit ou douze minutes. Pour que l’opération réussisse
certainement, la chambre n’était ouverte que quinze ou vingt minutes après.
Des fenêtres témoins permettaient aux S.S. et
à la Gestapo d’assister à l’horrible spectacle.
Le travail terminé, la porte de la chambre
était alors ouverte, un ventilateur chassait le gaz et une équipe nommée
Sonderkommando emportait les cadavres.
Les asphyxiés sont tous égratignés de la plus
affreuse façon. Les malheureux, dans leur affolement, dans leur agonie,
s’arrachent les yeux, se labourent le corps.
Les cadavres, serrés, sont entremêlés les uns
aux autres. Il semble impossible de les sortir, d’où l’emploi d’espèce de
hoyaux à deux dents pour retirer les cadavres de la chambre. Ils sont sortis un
à un, amenés près de l’ascenseur où, avant de les charger dans la cale, une
équipe dite de récupération, va procéder à l’inspection de la bouche pour
effectuer la récupération des dentiers et des dents en métal précieux ou des
bagues qui peuvent encore rester aux doigts des cadavres. On ne peut concevoir
que l’esprit de rapine soit poussé jusque là, telle est pourtant la vérité.
C’est une équipe de quatre dentistes spécialisés
qui procède à l’enlèvement des dents en or des cadavres.
Des chambres à gaz, les cadavres étaient
systématiquement transportés pour être incinérés au crématoire.
J’ai souvent vu ce camion avec sa remorque
qui faisait la navette entre la chambre à gaz et le crématoire ; de la
chambre à gaz il partait chargé de cadavres, il était vide au retour.
Les cheveux des femmes étaient également
coupés avant leur incinération.
Les cadavres sont transportés par wagonnets
ascenseurs à l’étage supérieur où se trouvent six fous brûlant et réduisant en
cendres 36 cadavres en vingt minutes, 108 corps à l’heure, soit 2 592 par
vingt-quatre heures, car ils brûlaient sans interruption.
Le plancher de certaines chambres à gaz
formait trappe et s’ouvrait directement sur d’immenses fours crématoires.
*
* *
Au risque de ma vie, j’ai visité moi-même une
nuit avec des camarades un four crématoire et je peux dire qu’il était aménagé
d’une façon très moderne.
Le bâtiment était fait de fortes briques de
construction au sol, en ciment, en étage, avec un sous-sol s’étendant dans
toute la largeur du bâtiment, de 3m.70 de haut. L’étage principal contenait un
bureau administratif « donnant » sur la façade ; une armoire et
un cabinet de toilette pour le personnel S.S. situés à l’autre extrémité du
bâtiment, enfin la chambre d’incinération au centre. Cette dernière contenait
sur une même ligne, deux batteries à trois incinérateurs, chacune avec un foyer
de briques, chaque incinérateur ayant une capacité de trois corps, soit une
charge totale de 18 corps.
Le sol de chaque incinérateur comportait une
grille rudimentaire par laquelle chaque jour les cendres étaient enlevées à la
fin de l’opération. Le feu venait d’une fournaise (chambre à feu) occupant les
2/3 arrières du sol. Les flammes étaient déviées sur les corps par des chicanes
situées au sommet de la chambre à feu. La partie du sous-sol donnant sur la
façade comportait la chambre de strangulation.
La crémation durait vingt-cinq minutes. En
une heure on pouvait brûler 6 cadavres. Les crémations étaient alors
poussées : au lieu de brûler du coke, on utilisait une espèce de
combustible dénommé « Naphta ». La chaleur était encore intensifiée
au moyen d’un moteur spécial qui chassait l’air. La température de ces fours
pouvaient être portée à 1 500°.
Naturellement lorsque trois corps brûlaient
ensemble, il n’était pas question de séparer les cendres ; lesquelles
n’étaient pas vidées à chaque chargement mais seulement lorsqu’on arrêtait la
crémation.
Chaque four pouvait contenir deux ou trois
personnes selon la taille et le poids de celles-ci.
On pouvait faire tenir quatre cadavres à la
fois avec les extrémités tranchées.
Et, en effet, pour faire tenir dans les fours
le plus possible de cadavres, ces derniers étaient démembrés, en particulier on
tranchait les bras et les jambes.
Les fours géants étaient faits de briques et
de fer, c’étaient des crématoires d’une grande capacité de service.
J’ai vu neuf fours perfectionnés. On pouvait
y mettre jusqu’à quinze corps dans un seul four.
La crémation fut si brutalement interrompue à
l’arrivée des blindés américains dans la zone que les S.S. n’eurent pas le
temps de mettre « leurs affaires en ordre », de sorte que les différents
stades de tortures (stade des opérations successives) purent être pleinement
examinés et compris. Le contingent de cadavres du jour précédent s’élevant à
plus de 120 prisonniers, qui étaient morts dans le camp, fut entassé dans un
camion dans la cour principale. Les grilles des foyers d’incinération n’avaient
pas encore été nettoyées de leurs iliaques et parties de « bassins »
et de leurs parties de crânes.
4 crématoires possédaient en tout 56 fours.
Rien que ces 56 fours brûlaient au total,
quotidiennement 7 à 8 000 personnes.
Sur cinq autres crématoires, il y en a
toujours quatre qui fonctionnent. Le débit journalier est pour l’ensemble de
10 400 en moyenne.
Les fours fonctionnent jour et nuit.
Aux jours de grande extermination, l’odeur
cadavérique qui se répandait du camp jusqu’aux environ de la ville, et qui
obligeait les habitants de Lublin à se couvrir la figure de leurs mouchoirs,
terrifiait les habitants de la banlieue.
D’ailleurs nous voyions avec effroi les
flammes rouges et gigantesques des crématoires qui s’élançaient vers le ciel.
Les S.S. nous disaient : « Ici il
n’y a qu’une sortie, c’est la cheminée ».
*
* *
Les Allemands ont toujours veillé avec le plus
grand soin à ce qu’un secret absolu couvrît ce secteur de leur activité.
Les internés n’étaient jamais admis à
approcher des « chambres » ni des « fours ». Ceux d’entre
eux qui avaient été désignés pour travailler à leur entretien et à leur
manipulation (transports des corps, broyage des os après la crémation, etc.) et
qui constituaient le « Sonderkommando » ou Kommando spécial, vivaient
régulièrement à l’écart. Toutes communications avec eux étaient interdites. Par
surcroît de précaution, le personnel en était fréquemment
« renouvelé » ; ainsi la première équipe formée en juillet 1942
avec 250 prisonniers de guerre russes, fut entièrement fusillée en août et
remplacée par 250 Juifs qui furent également passés par les armes fin 1942.
Et par la suite, le personne préposé au four
crématoire fut exclusivement composé de Juifs travaillant sous la surveillance
de S.S. Les Juifs qui y entraient ne devaient pas en ressortir, ce qui
permettait de changer fréquemment les équipes.
Ces détenus vivent au lieu même de leur
travail, ils sont complétement séparés de leurs camarades.
Les détenus des Sonderkommandos sont bien
nourris.
Chaque détenu de ce kommando touchait chaque
jour les rations supplémentaires ci-après : 560 grammes de pain, 60
grammes de marmelade, 45 grammes de beurre et 50 grammes de saucisson.
Ce travail n’était pas un travail de force,
les morts étant aussi légers que des plumes.
Ils exercent leurs fonctions durant 90 jours
exactement. Le 91ème jour chacun d’eux doit partir en wagonnet dans
le four ou être d’abord gazé. Les internés du Sonderkommando ont le privilège
de pouvoir choisir eux-mêmes entre ces deux supplices.
En 1942 et 1944, l’effectif de ces
« Kommandos » devait être porté à 800 et tour à tour les internés de
nationalités diverses furent affectés (nul ne pouvait échapper à cette
désignation).
Etait-il possible de refuser de
travailler ? Je crois que non, l’exemple suivant étant une preuve :
En mars 1944, un transport de Juifs de Corfou, occupés par les Allemands,
arriva au camp de Birkenau. La sélection révéla 400 personnes solides, aptes au
travail. On les dirigea sur le crématoire en leur indiquant le travail à faire.
Ils refusèrent tous ; ils furent gazés en bloc.
*
* *
Les crématoires que nous voyons du seuil de
l’hôpital ouvrir leurs portes de demi-heure en demi-heure pour recevoir de
nouvelles fournées ne suffisent plus. Les Allemands font alors creuser une
immense fosse dont le fond est recouvert de bois sec ; sur ce bûcher les
corps sont jetés et brûlés.
La crémation par les bûchers était réalisée
dans des tranchées de 50 mètres de long, trois ou quatre mètres de largeur et
de profondeur variable. Le fond de ces tranchées était recouvert d’une couche
de bois, puis sur cette couche de bois, une couche de cadavres et ainsi
alternativement, bois et cadavres, jusqu’à leur remplissage. Lorsque la
tranchée était comble, on l’arrosait de pétrole et on y mettait le feu. Au fond
de la tranchée avait été pratiqué un petit canal par lequel s’écoulait la
graisse humaine dans un récipient placé à l’extrémité du canal. Le contenu de
ce récipient était ensuite jeté sur le brasier pour activer la combustion.
On brûle à la fois 10 à 12 000 cadavres
provenant des transports hongrois qui se succèdent à une cadence rapide.
On arrivait à brûler jusqu’à 15 000
détenus pas jour. Pour le 27 juin 1944, le Kapo principal du Sonderkommando a
donné le chiffre de 24 000 corps brûlés.
Rien que dans les immenses brasiers de la
forêt de Krempetz furent brûlés plus de 300 000 corps.
Dans les brasiers du camp même, près du
crématoire, au moins 400 000.
Dans la nuit, le spectacle est
impressionnant. Les S.S. viennent pour admirer et pour se distraire.
*
* *
Souvent il n’y avait pas de gaz, ou les
Allemands n’avaient pas le temps de gazer.
Les exécutions n’en continuaient pas moins
pour cela.
Pour accélérer les opérations, les Allemands ont commencé à
brûler vivants les vieillards et les enfants qui étaient là. De ce qui précède,
je peux en donner la certitude absolue car de l’endroit où j’étais, j’ai vu.
Alors les flammes étaient dirigées sur cette
masse d’humanité vivante.
Les malheureux étaient directement déversés
dans l’immense brasier.
Les victimes étaient jetées nues et arrosées
ensuite d’essence qui était alors enflammée.
Dans le camp, il y avait des malades et si
leur maladie était un peu grave, on les envoyait vivants au four crématoire.
Le chef du crématoire, l’Oberscharführer, a
ligoté les pieds et les mains d’une femme polonaise et l’a jetée vivante dans
le four.
J’ai vu de mes propres yeux les S.S.
incinérer vivants 14 officiers russes et 5 officiers polonais tous en uniforme.
En mai 1944, 100 Juifs d’Athènes, ayant
refusé en bloc d’être employés au Sonderkommando, furent immédiatement
tués : les uns fusillés, les autres brûlés vivants.
Au mois de mars 1945, on avait amené 500
hommes qui ont été brûlés vifs dans le four crématoire du camp
A
800-900 mètres de l’endroit où se trouvent les fours, les détenus montent dans
les wagonnets qui circulent sur les rails. Ils sont, à Auschwitz, de dimensions
différentes contenant de 10 à 15 personnes. Une fois chargé, le wagonnet est
mis en mouvement sur un plan incliné et
s’engage à toute allure dans une galerie. Au bout de la galerie se trouve une
paroi ; derrière, c’est l’accès dans le four.
Lorsque
le wagonnet vient cogner la paroi, elle s’ouvre automatiquement, le wagonnet se
renverse en jetant dans le four sa cargaison d’hommes vivants. Ceci fait, un
autre de suite, chargé d’un autre groupe et ainsi de suite.
Il arrivait souvent que de petits enfants
soient jetés vivants dans les camions avec les morts.
Plusieurs témoignages montrent que les
enfants étaient jetés vivants dans les tranchées.
Dans un convoi arriva, avec d’autres une
Juive polonaise ayant une petite fille de trois ans, très jolie. Cette femme
connaissait l’existence des chambres à gaz d’Auschwitz et savait qu’elle allait
être sa destinée. Lorsque le Kommandoführer passa devant elle, elle lui
demanda, puisqu’elle devait mourir de sauver son enfant. Le Kommandoführer
entra dans une rage folle et lui répondit : « Maudite Juive, je n’ai
pas d’ordre à recevoir de toi ! » Il saisit l’enfant par la poitrine
et la porta au four crématoire, la mère le suivant en hurlant ; il fit
ouvrir la porte du four et y jeta l’enfant vivant.
On jette les enfants dans ce four, vivants,
jusqu’à l’âge de dix ans. Les moins de 45 kilos passaient automatiquement au
four crématoire.
Il y avait dans un convoi près de 400 enfants
qui furent brûlés vivants.
De nombreux détenus ont été incinérés
vivants.
Dans un seul camp, 1 000 000 de
malheureux Juifs sont mort d’épidémies de typhoïde ou de typhus mais surtout
brûlés vifs dans les fours crématoires.
*
* *
Après la crémation, il restait des quantités
d’os qui étaient employés de deux façons : à consolider la terre lors de
la construction de nouvelles routes, ou bien encore les os étaient moulus et
versés dans les fosses.
Car les hitlériens faisaient moudre les menus
ossements dans un moulin spécial.
Les cendres étaient vendues à une usine
allemande fabriquant des phosphates destinés aux engrais.
La Commission russe des crimes de guerre qui
a instruit sur place, a retrouvé les contrats passés entre la firme allemande
en question et la direction du camp. Ces contrats contenaient une close
spécifiant que les cendres à fournir devaient être d’un « calibre »
déterminé.
La Commission a trouvé au « camp de
destruction » plus de 1 350 mètres cubes de compost, constitué par le
fumier et la cendre des cadavres brûlés et les petits ossements d’êtres
humains.
Lorsque le disparu d’une famille dont on
connaît l’adresse, on expédie une lettre dont voici à peu près le texte :
« Nos médecins ont fait tout ce qui
était en leur pouvoir pour sauver la précieuse vie humaine qui leur était
confiée, mais leurs efforts ont été vains, votre mari (ou autre parent) a été
emporté par une pneumonie (ou autre maladie). Après avoir rendu les derniers
devoirs au défunt, nous avons fait incinérer sa dépouille, nous conserverons
ses cendres. Si vous désirez avoir le reste de votre parent, adressez une somme
de 150 marks et nous vous en ferons immédiatement l’envoi. »
Au reçu de la missive, la famille se hâte
d’envoyer les 15 marks. Alors les autorités du camp font puiser au hasard dans
l’immense montagne quotidienne des cendres et font remplir un coffret qu’on
adresse aux intéressés.
Ce que la famille recevait n’avait rien à
voir avec les cendres du de cujus, mais cette opération faite dans un but
mercantile, rapportait des sommes intéressantes à la direction du camp.
Les familles ne pouvaient recevoir que des
cendres ayant appartenu à n’importe qui. Il est arrivé que la femme d’un détenu
mort reçut les cendres de son mari et que la mère elle-même une autre
expédition.
Ayant eu l’occasion de porter quelques lettre
du médecin S.S. du Revier à l’Oberscharführer du crématoire, nous avons
secrètement ouvert ces lettres ; elles émanaient des mères des détenus
morts à Buchenwald demandant qu’on plaçât sur la tombe de leur fils ou de leur
mari des couronnes et qu’on fît brûler des cierges et que la note leur fût
envoyée !
*
* *
A côté de cette extermination systématique,
des quantités de déportés mouraient chaque jour et il n’était pas rare de voir
des montagnes de cadavres joncher le sol. Ils demeuraient sur place jusqu’à
être parfois rongés par les rats.
Le nombre des morts augmentait sans cesse.
Dans le block de quarantaine on trouvait de nombreux tas de cadavres.
Il mourait environ 700 détenus par jour. Il y
avait des cadavres non enterrés, ni brulés, qui pourrissaient depuis décembre.
Il y avait pourtant un service spécial de ramassage
des cadavres qui devait normalement fonctionner tous les matins, mais il ne
passait pas dans tous les coins du camp.
Les prisonniers russes étaient transférés des
camps réguliers de prisonniers de guerre à Auschwitz ou Birkenau pour des
raisons disciplinaires. Nous trouvâmes ce qui subsistait des Russes dans un
état terrible d’abandon et de misère, dans le bâtiment inachevé, sans la
moindre protection contre le froid ou la pluie. Ils mouraient en masse. Des
centaines et des milliers de leurs corps furent enterrés superficiellement,
répandant une odeur pestilentielle. Plus tard, il nous fallut exhumer les
cadavres et les enterrer à nouveau.
A partir d’octobre-novembre 1944, le charbon
nécessaire au four crématoire n’arrivait plus et les cadavres ne pouvaient être
brûlés. Ils restaient entassés auprès du four et les Allemands, soucieux de
l’harmonie, les faisaient placer par paquets de 500 en tas réguliers. Les
cadavres étaient placés tête bêche et, en attendant le charbon, ce sont des
milliers de cadavres qui restaient entassés dans la cour du four crématoire. En
mars, avec les premiers rayons du soleil, les cadavres ont commencé à sentir
mauvais.
Une longue tranchée fut alors creusée par une
unité spécialisée et ayant un matériel adéquat, puis commençant par une
extrémité, le contingent journalier des morts fut entassé dans cette tranchée,
progressivement, en commençant par le bas et tout le long de la tranchée. Le
nombre de morts ainsi enterrés, pendant un mois environ, fut de 1 200.
Cette information a été fournie par le général de Lattre de Tassigny, le
commandant William Bullit et le chirurgien de l’armée. Tous ces chefs avaient
inspecté le camp.
Dans un autre camp, en attendant l’arrivée de
nouvelles provisions, les corps, au nombre de 1 800 furent réunis dans la
cour principale et empilés comme du bois dans un stère. Au grand ennui des S.S.
ces corps encombraient la cour principale et pouvaient être un témoignage très
ennuyeux, très grave ; puis une période de sécheresse provoqua un problème
sanitaire. De plus, les inhumations étaient plus gênantes que les incinérations
et c’était en dehors des habitudes de la « Maison ». De toute façon
quelque chose devait fait. C’est ainsi qu’un groupe de camions et une corvée
spéciale d’internés furent organisés. Les corps furent chargés dans les camions
et traînés en dehors du camp.
La corvée spéciale creusa une vaste fosse
commune, y jeta les corps et la remplit par la moitié, longitudinalement, puis
recouvrit les corps. Ensuite, les S.S. tuèrent à coups de revolver les membres
de la corvée spéciale, jetèrent leurs corps dans l’autre moitié de la fosse
restée vide, longitudinalement, et recouvrirent ces derniers corps.
Ailleurs, les Allemands ont installé une
fosse commune lorsque le four crématoire a été détérioré. La fosse a été
installée dans une carrière. On jetait les morts du haut de la carrière, puis
on recouvrait la couche de cadavres d’une peu de chlore et d’un peu de terre.
Ailleurs encore, on a décidé la création de
la fameuse fosse de la tour Bismarck dans laquelle on précipitait les cadavres
avec de la chaux.
Lorsque le 11 avril 1945, vers 11 heures,
nous sommes arrivés au camp de Bergen-Belsen, nous avons vu là un spectacle
d’horreur que nous n’aurions pu imaginer : 22 000 cadavres gisaient, accumulés
entre les blocks, tellement serrés, que par moment nous devions marcher dessus.
Ils pourrissaient là sans qu’on les conduise soit au four crématoire, soit à la
fosse commune et tous les jours on en ajoutait 7 ou 800 nouveaux.
A suivre - Libération
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