SÉLECTION A L’ARRIVEE
J’étais très inquiet au sujet de ma mère
déportée avec nous séparée de moi dès l’arrivée. A ce moment, je ne savais pas
encore de quoi il s’agissait et demandais à un travailleur interné au camp
d’Auschwitz : « Qu’est-ce qu’elle va devenir, ma mère ? » -
« Ta mère, tu ne la reverras plus ».
Une de mes camarades qui était partie avec ma
mère et sa fille qu’elle portait dans ses bras, en descendant du train a voulu
rattacher sa jarretelle. Elle confia donc l’enfant à sa mère pour quelques
minutes. Le temps de rattacher sa jarretelle, sa mère et sa fille avaient été
entraînées loi d’elle. Elle voulut les rejoindre mais reçut de la gardienne un
tel coup de bâton qu’elle perdit connaissance et ne se réveilla qu’au camp où
elle apprit le sort de sa mère et son enfant.
Désormais, seuls entreront au camp les hommes
de 15 à 50 ans, les femmes de 15 à 40 ans, à condition qu’ils soient robustes
et en bonne santé et pour les femmes qu’elles ne soient pas accompagnées
d’enfants.
Le soir, au passage à niveau, nous avons
croisé un convoi de vieillards et d’enfants qui fut le premier à être conduit
directement à la chambre à gaz. Ceci se passait au début d’août 1942.
A l’arrivée de chaque convoi, une sélection
séparait ceux qui étaient « aptes au travail », c’est-à-dire jugés
assez robustes pour supporter quelque temps le travail épuisant, les privations
et les mauvais traitements.
On faisait deux colonnes sur les indications
d’un S.S. qui désignait du doigt la droite et la gauche.
Dans la première colonne se trouvaient :
-
Les enfants des deux sexes au-dessous de 15
ans,
-
Les hommes au-dessus de 50 ans,
-
Les femmes au-dessus de 41 ans,
-
Les femmes de tous âges si elles sont
accompagnées d’un enfant,
-
Les individus malades ou hors d’état de travailler.
Les femmes enceintes ne rentraient pas non
plus dans le camp.
Et tandis que ceux de la deuxième colonne,
les « sélectionnés », prenaient la direction du camp, les vieillards,
les femmes, les enfants et les malades montaient dans les camions qui devaient
les mener aux chambres à gaz.
Souvent les S.S. demandaient aux femmes
laquelle d’entre elles était fatigué, malade. Si par malheur l’une d’elles se
trouvait fatiguée, elle montait dans le camion qui allait directement à la
chambre à gaz.
Ils disaient à ceux qui ne pouvaient pas
marcher à pied : « Ne craignez rien, vous aurez des voitures ».
Un S.S., docteur chef du camp, avait
l’hypocrisie de s’adresser à l’arrivée des convois, aux femmes et aux enfants,
dans ces termes :
« Madame, prenez garde, votre enfant va
prendre froid ».
« Madame, vous êtes souffrante et
fatiguée d’un aussi long voyage, confiez votre enfant à cette dame. Vous le
retrouverez tout à l’heure à la garderie d’enfants ».
En règle générale, les enfants juifs ont été
gazés à leur arrivée au camp.
On peut dire qu’il n’y avait pas d’enfants
dans le camp d’Auschwitz, par exemple. Ils étaient exterminés à l’arrivée.
En 1944, la voie ferrée avait été prolongée
jusqu’aux chambres à gaz. Le tri était fait dans le train et lorsque celui-ci
arrivait, on faisait descendre les gens soit au camp soit aux chambres à gaz.
En arrivant au camp, nous descendîmes comme
nous pûmes du wagon de marchandises pour découvrir que la gare était entourée
de Lithuaniens en uniforme de S.S., tous armés de pistolets automatiques. On
ferma immédiatement les wagons contenant les enfants et les vieillards et le
train reparti.
Il ne rentrait dans le camp qu’une petite
minorité.
Sur un convoi, ¾ sont gazés et le reste part
au travail ou dans les blocks d’extermination.
Pour un convoi de 1 200, par exemple, il
n’entre guère au camp que 200 à 250 personnes, celles dont la mort est
simplement différée.
La proportion des « survivants
provisoires » variera suivant les convois, entre 15 et 20%.
Partis de France à 1 300, nous fûmes
sélectionnés dès l’arrivée et seulement 291 entrèrent au camp ; tous les
autres furent gazés.
Vers le 15 avril, un convoi de Slovaques,
composé environ de 2 000 personnes (800 hommes environ, le reste femmes et
enfants) arrive au camp. Après un triage, 90% du convoi furent dirigés vers une
petite maisonnette blanche située en dehors du camp qui servit au début de
chambre à gaz et où ils furent gazés.
On peut dire qu’il entrait en moyenne 100 à
150 personnes dans le camp ; le reste était directement dirigé sur la
chambre à gaz.
C’est ainsi qu’ont disparu des millions de personnes ; prisonniers, politiques,
Juifs, communistes, ainsi que des Russes, prisonniers de guerre.
Les chambres à gaz travaillent presque
continuellement.
Depuis 1942, tous les Juifs amenés au camp
passent directement aux chambres à gaz. Une grande partie des prisonniers de
guerre espagnols retirés des stalags a subi le même sort. En moins d’un an,
11 000 d’entre eux ont été exterminés.
Parmi les 4 000 Français qui sont passés
à Sachsenhausen, très peu ont pu rester au camp ; beaucoup considérés
comme terroristes, ont été exécutés avant d’être immatriculés.
Un jour de septembre, nous voyons partir pour
la mort 5 000 hommes et 3 000 femmes. Un fort contingent de Tchèques
et d’Autrichiens, évacués des divers camps de Pologne : Lodz, Radom et
Theresienstadt sont liquidés par les Allemands. Sur les 75 000 qui sortent
de ce dernier camp, 60 000 sont passés par les gaz.
Les prisonniers de guerre russes, arrivés au
cap après 1943, étaient transportés la nuit dans une auto de couleur jaune dans
laquelle ils étaient gazés directement.
En 1943, un convoi de Juifs de Grèce est
arrivé à Birkenau. J’ai revu mes deux frères que je n’avais pas vus depuis
quinze ans dans ce camp. Ils m’ont donné des nouvelles de ma mère qui a été
exterminée ainsi que tous mes parents.
Sur 1 500 Juifs grecs, au camp de
Jaworjno, quand le camp a été évacué, le 17 janvier 1945, il en restait une
cinquantaine.
Arrivent 60 000 Juifs de Salonique, dont
200 à peine survivront.
En 1943, c’est d’ailleurs la Grèce qui a
fourni le plus de victimes juives.
Très souvent, des convois entiers étaient détruits
aussitôt arrivés.
Après l’attentat contre le bourreau de la
Gestapo, Heydrich, à Prague, des milliers de Tchèques ont été emmenés et
aussitôt mis à mort. A la fin de la même année, au mois de novembre ou
décembre, plusieurs milliers de femmes et d’enfants de partisans yougoslaves,
d’origine monténégrine, ont été amenés au camp. Dès leur arrivée, ils ont été
massacrés, dans les chambres à gaz comme « inutiles pour les nazis ».
En mars 1944, c’est encore le tour de
10 000 Tchèques de subir en deux lots l’exécution en masse.
En mai 1944, à notre connaissance, c’est le
moment où le sinistre courbe que nous venons de suivre atteint son point culminant :
des convois amenant les wagons (48 à 60 par train) chargés à plein.
En longues files, les condamnés encombrent à
longueur de journée les abords des chambres à gaz.
Je voyais à la rampe du quai d’embarquement,
situé à environ 50 mètres de moi, la sélection faite parfois par le docteur,
parfois par son chauffeur. Ils envoyaient des enfants, des femmes, des hommes
qui entraient dans le crématoire et qu’on ne voyait plus sortir. Ces jours-là
le crématoire brûlait jour et nuit et l’odeur de la chair brûlée se répandait
partout.
En six semaines ils brûlèrent 520 000
hommes, femmes et enfants.
Pendant le mois de juillet 1944, 40 000
femmes, hommes et enfant étaient dirigés tous les jours sur les chambres à gaz.
D’ailleurs ce camp avait pour but essentiel
d’exterminer la plus grande quantité possible d’hommes ; ne portait-il pas
le nom de « Vernichtungslager », c’est-à-àdire « camp de
destruction ».
A suivre - Gazage et crémation
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