VOLS
Des
Juifs hollandais et français nous dirent qu’ils avaient été informés par les
Allemands qu’ils quittaient leur pays pour être transférés en Pologne où chacun
serait capable de continuer à travailler à son propre métier ou, mieux encore,
on leur promettait que pour chaque magasin, établissement ou usine saisis par
les Allemands, un moyen de vivre équivalent serait mis à leur disposition.
Ils
devaient prendre avec eux toute leur fortune et de l’argent liquide pour au
moins six semaines. Il en résulta qu’une quantité considérable d’argent et de
valeurs arriva au camp.
Nous
avons été dépouillés de notre argent et de tous nos bijoux.
Les
S.S. et la Gestapo dirigent toutes les opérations.
Pendant
ces diverses opérations, j’observe l’attitude de nos gardiens ; ils
rapinent déjà pour leur propre compte et leurs poches s’emplissent d’objets de
valeur et d’argent.
Poussés
par l’esprit de rapine et de vol, on vit à plusieurs reprises, lors de visites,
des personnages importants du Parti, des officiers supérieurs et subalternes,
se remplir les poches de bijoux, de brillants, de valeurs et de monnaies
étrangères.
Je
n’ai pu me résoudre à leur remettre mon alliance et je l’ai avalée au cours de
ma captivité. J’ai renouvelé deux fois l’opération.
Au
cours du trajet, un jeune S.S. âgé de 20 ans environ s’approcha de moi et me
dit en français : « Donne-moi ton alliance ». Je n’ai pas
répondu. Il me frappa brutalement et je fus frappé ainsi durant 5 kilomètres à
coups de crosse et de fusil sur les reins et les épaules. Après ces 5
kilomètres, je suis tombé en syncope. Il m’a roulé à coups de pieds dans le
fossé et lorsque je suis revenu à moi, avec sa lame de couteau, il essayait de
faire glisser mon alliance qu’il put finalement avoir en crachant sur mon doigt
et me l’arrache. Il me redressa à coups de crosse et me remit dans les rangs.
On
inscrivait soigneusement sur un registre le nombre des dents aurifiées de
chaque détenu.
Ils
arrachaient les dents des prisonniers à la recherche de diamants qu’ils
disaient pouvoir être cachés dans les dents cariées. Ils arrachaient aussi les
couronnes qui n’avaient pas été mentionnées dans le nomenclature.
Avec
une tenaille, on m’arracha toutes mes dents en or.
Je
tiens à signaler que les Allemands nous faisaient écrire à nos familles sur du
papier qui portait une mention imprimée indiquant « l’existence d’une
cantine et l’autorisation qui nous était accordée de recevoir des mandats pour
faire des achats à cette cantine », qui naturellement n’existait pas.
Ils
ne m’ont jamais rendu l’argent qu’ils ont pris dans mon portefeuille ils ne
m’ont jamais donné les sommes que ma femme m’envoyait, soit 25 marks par mois
pendant quatre mois.
J’ai
appris à mon retour à Paris, que les hommes de la Gestapo qui m’ont arrêté chez
moi, le 15 août 1942, avaient pris dans mon bureau une somme de 225 000
francs en billets, qui s’y trouvait déposée. Ils m’ont pris également dans une
armoire 180 000 francs de bons du trésor appartenant à Melle P.
Pour
certaines besognes, les bourreaux du camp utilisent les détenus, la plupart
volontaires, par exemple ce jeune Luxembourgeois qui était spécialement chargé
de rechercher les bijoux dans le vagin des femmes mortes.
Le
« Canada » est le nom donné à l’organisme du camp dans lequel sont
employés 1 200 hommes et 2 000 femmes ; c’est l’endroit où est
stocké, trié, emballé et expédié sur l’Allemagne, le matériel de toutes sortes
provenant des transports : effets de toutes natures, alimentation,
produits pharmaceutiques et de parfumerie, bijoux, peintures, lingerie,
vêtements, tabac, cigarettes, literie, poils et cheveux récupérés à la tonte.
Dans ce kommando, les Allemands ont formé une équipe de spécialistes de
rechercher parmi les vêtements et dans la literie, les brillants et autres
valeurs que les intéressés peuvent avoir perdu.
Toutes
les affaires volées aux détenus étaient soigneusement triées et dirigées sur
l’Allemagne.
Dans
l’immense dépôt de chaussures découvert au camp n°6, on a trouvé des chaussures
portant la marque de fabrique de Paris, Vienne, Bruxelles, Varsovie, Trieste,
Prague, Riga, Anvers, Amsterdam, Kiev, Cracovie, Lublin, Lvov et autres
villes ; chaussures de différents modèles et pointures, pour hommes,
femmes, adolescentes, enfants d’âge préscolaire, bottes de soldats, bottines,
bottes de paysans. en outre, on a découvert au dépôt un grand nombre de pièces
de cordonnerie (semelles, semelles inférieures, talons) triées, rangées en
piles et préparées pour être expédiées en Allemagne.
La
commission a établi que dans ce seul camp de destruction l y avait plus de
820 000 paires appartenant à des enfants, à des hommes et à des femmes
martyrisés et morts.
Dans
le dépôt immense de la Gestapo, rue Chopin, à Lublin, la commission a trouvé
des stocks de linge d’hommes, de femmes et d’enfants, ainsi que toutes sortes
d’objets d’usage personnel Par exemple plusieurs rayons avec des pelotes de
laine à tricoter, des milliers de lunettes, des dizaines de milliers de paires
de chaussures pour hommes, dames et enfants, des dizaines de milliers de
cravate portant la marque des différents villes –Paris, Prague, Vienne, Berlin
Amsterdam, Bruxelles- des dizaines de milliers de ceintures pour femmes, dont
une partie avait été triée et préparée pour être expédiée. Des peignoirs de bains,
pyjamas, pantoufles, quantité de jouets, de tétines, de blaireaux à raser,
ciseaux, couteaux et un grand nombre d’autres objets d’usage domestique. On y a
découvert encore une multitude de valises ayant appartenu à des citoyens
soviétiques, polonais, français, tchèques, belges, hollandais, grecs, croates,
italiens, norvégiens, danois, ainsi qu’à des Juifs de différents pays.
Le
prisonnier de guerre de l’armée allemande, Obersturmührer S.S. Ternes, en sa
qualité d’ancien contrôleur des finances du camp, a déclaré : « En ce
qui me concerne, je sais que l’argent et les objets de valeur saisis sur les
prisonniers ont été acheminés sur Berlin. L’or prélevé sur les prisonniers
était envoyé au poids. Tout ce bien, en somme volé, constituait un chapitre de
recettes pour l’Etat allemand. On a envoyé à Berlin des quantités d’or et
d’objets de valeur. Je suis au courant de tout cela parce que je travaillais au
camp comme contrôleur des finances. Je tiens à souligner que quantité d’or et
d’objets de valeur n’ont pas été portés sur le registre des recettes parce que
volés par les Allemands qui confisquaient tout cela ».
VETEMENTS
Au
point de vue vêtements, c’était insuffisant. De temps en temps on passait la
visite et les vêtements supplémentaires à la tenue qui avait été donnée étaient
supprimés. A ceux des détenus qui avaient pu se procurer par exemple des
pull-overs contre les rations de pain de deux ou trois jours, on les leur
retirait ainsi que tout ce qui n’était pas règlementaire, jusqu’aux vêtements
de papier que certains détenus portaient sur la peau pour se préserver du
froid.
On
retirait les vêtements supplémentaires même aux vieillards, aux gens fatigués,
aux invalides.
Le
manteau était également défendu, le veston et la chemise étaient seuls
autorisés.
Vous
êtes engourdies par le froid matinal et rigoureux en hiver car, en cette
saison, pas plus qu’aux autres, il ne vous est permis de porter un vêtement de
laine.
Par
des tornades de pluie, nous étions trempées et nos robes de bure devenaient des
fardeaux que nous avions peine à porter.
Elles
pesaient des kilos et les femmes ne pouvaient marcher.
Nous
étions obligés de les tordre et de les porter toute la journée ainsi, car nous
n’avions pas de feu pour les faire sécher.
Les
chaussures en bois dont nous avions été pourvus provoquaient au bout de
quelques jours des blessures, celles-ci ne pouvaient être soignées et il
s’ensuivait des phlegmons qui entraînaient la mort dans beaucoup de cas.
HABITATION
Cinquante
baraques de bois, vingt bâtiments en ciment, aménagés pour seize mille hommes
constituent à proprement parler le camp de concentration.
Tous
ces bâtiments sont construits selon un modèle standard. Chaque maison a environ
trente mètres de long et huit à dix mètres de large. Alors que la hauteur des
murs dépasse à peine deux mètres, l’élévation du toit est
disproportionnée : 5 mètres environ, de telle sorte que la maison donne l’impression
d’une écurie surmontée d’un vaste grenier à foin. Il n’y a pas de plafond
intérieur de façon que la pièce atteint au centre une hauteur de 7
mètres ; en d’autres termes, le toit pointu repose directement sur les
quatre murs. La pièce est divisée en deux par une séparation courant dans son milieu sur toute la longueur, et
présente une ouverture qui permet de communiquer entre les deux zones ainsi
séparées. Le long des murs de côté et aussi le long de la séparation centrale,
deux planchers parallèles, divisés à leur tour en petites cellules par des
séparations verticales, ont été construits à environ 80 centimètres de
distance. Il y a donc trois étages : le rez-de-chaussée et les deux
planchers construits dans les murs de côté. Normalement, trois personnes vivent
dans chaque cellule. Comme on en peut juger d’après les dimensions indiquées,
ces cellules trop étroites pour qu’un homme puisse s’y allonger et leur hauteur
ne lui permet pas de rester assis en se tenant droit, à plus forte raison de
s’y tenir debout. C’est de cette façon que quelque 400 à 500 personnes se
trouvent logées dans une maison du « quartier » comme on l’appelle
aussi.
Nous
étions 750 dans notre block qui avait 50 mètres de long et 10 mètres de
large ; vu l’obliquité des parois, ce block avait 6 mètres de haut sur la
ligne médiane et 4 mètres à peu près sur
la ligne latérale. L’effectif était, le 4 avril 1945, de 1 350 hommes. Or,
il y avait de la place et peu, pour 936 hommes couchés, si bien que les hommes
ne se couchaient guère que deux nuits sur trois. Ceux qui ne se couchaient pas,
restaient assis sur les bancs ou debout. Dans certains blocks l’encombrement
fut pire et on m’a donné, sans que j’aie pu le vérifier, le nombre de 2 100 personnes qui, certaines nuits,
furent entassées dans des blocks de capacité identique.
L’atmosphère
était irrespirable.
A
notre arrivée, les dortoirs nous ont paru très bien : lits bien alignés et
sur chaque paillasse une courte pointe bleue-blanche, c’était presque coquet.
Mais hélas ! notre contentement fut de courte durée ; en soulevant la
courte pointe nous avons constaté que les paillasses et couvertures
grouillaient de vermine. Ma couverture à moi était même pleine de matières.
On
couchait sur les matelas remplis de copeaux de bois.
Nous
étions 10, 11 et 12 par travées de 4 mètres de large sur 1m.85 de long et 1m.06
de hauteur (ce dernier chiffre approximatif). La tête ce chaque bagnard
reposait sur les pieds de son voisin.
On
manquait de place pour y dormir sur le dos.
Ceux
qui voulaient se retourner la nuit, devaient frapper leurs camarades pour
qu’eux-mêmes se changent. Nous couchions en sardines, tête bêche et sur le
côté.
Les
femmes n’avaient plus leurs règles ; sur 10 cadavres de femmes on a
constaté que 9 avaient les ovaires desséchés du fait que les boches ne
voulaient pas qu’elles dorment allongées ; elles étaient jusqu’à douze et
treize cents.
Les
femmes couchaient jusque dans les w.c., et même dehors, parfois par 32°
au-dessous de zéro.
Le
camp pouvait recevoir à la fois de 25 000 à 40 000 personnes. Il y
eut des périodes où l’on y enregistrait jusqu’à 45 000 prisonniers. Les
internés de ce camp ne formaient pas un contingent stable.
Le
camp renfermait des prisonniers de guerre de l’ancienne armée polonaise,
capturés dès 1939, des prisonniers de guerre soviétiques, des citoyens de
Pologne, France, Belgique, Italie, Hollande, Tchécoslovaquie, Grèce,
Yougoslavie, Danemark, Norvège et d’autres pays.
On
comptait, parmi les prisonniers, quantité de femmes, d’enfants et de
vieillards. Parfois les détenus formaient des familles entières. On trouvait
des enfants de tout âge, y compris des tout-petits.
NOURRITURE
La
nourriture était au-dessous du minimum vital.
Pas
assez pour vivre et top pour mourir.
Le
matin à 7 heures, distribution de café : de l’eau noire toujours faite
avec de la neige fondue, c’est tout.
Les
repas sont loin d’être fameux ; feuilles d’ortie, de betteraves, des
rutabagas, un peu de patates, un morceau de pain. 250 grammes le soir avec un
semblant de marmelade ou un ersatz de fromage blanc, voilà pour la nourriture.
Le
pain était composé de 40% de fécule de pommes de terre, 25% de farine de châtaignes,
20 à 25% de farine d’orge et le reste était de la sciure de bois amalgamée.
Les
rations de pain étaient extrêmement variables, allant de 150 à 250 grammes, ce
qui était énervant, car nous ne savions jamais comment nous devions le manger.
La
nourriture était infecte.
Même
dans la soupe il y avait des légumes avariés ce qui provoquait de nombreuses
dysenteries.
Il
était également très courant de mêler à la soupe de l’interné un produit
pharmaceutique qui lui donnait la dysenterie et provoquait de grosses pertes de
sang. Tout remède était impuissant.
Souvent
le manger du soir était froid car il était déjà porté vers 4 heures dans les
baraques alors que l’appel durait quelquefois jusqu’à 18 heures et même plus
longtemps.
La
soupe restait si longtemps dehors qu’elle se transformait en bloc de glace. A
ce moment-là seulement elle était servie.
Il
était interdit d’avoir un couteau et à un certain moment nous fûmes privés de
cuillères. Nous étions alors forcés de laper notre soupe.
Les
uns avaient une assiette, les autres une boîte de masque à gaz ou boîte de conserves
toute rouillée. Chacun mangeait dans des récipients invraisemblables.
Tous
les colis que nous recevions étaient confisqués et l’on ne nous remettait que
les emballages vides.
Pendant
les quatre mois que j’y suis restée on n’a rien reçu de la Croix-Rouge.
Aucun
paquet n’est jamais parvenu aux prisonniers.
J’ai
vu arriver des colis de la Croix-Rouge Française avec la mention « pour
l’homme de confiance des internés français ». Les S.S. nous ont fait
observer qu’il n’y avait pas d’hommes de confiance des internés français et
que, par conséquent, ils avaient le droit de disposer des colis comme ils
l’entendaient, ce qu’ils firent d’ailleurs.
Tous
nos colis nous étaient régulièrement volés. Nous voyions les
« oberherrin » mangeant des produits qui venaient de France et nous
en devinions la provenance. Dans les poubelles nus retrouvions les boîtes à
sardines vides et les empaquetages des petits biscuits rectangulaires fabriqués
chez nous.
Les
« offizierinen » vendaient sous nos yeux aux ouvriers civils de
l’usine des paquets de denrées alimentaires prélevés sur nos rations.
Théoriquement
les rations indiqués sont celles que le prisonnier recevait mais pratiquement
une bonne partie en était volée avant qu’elle ne fût réellement distribuée.
En
outre, on perdait une bonne partie du café, de la soupe ou du casse-croûte car
c’est toujours au pas de course que nous recevions notre nourriture. Il faut
tenir d’autant plus compte du fait qu’il fallait éviter les divers gardiens qui
jalonnaient le chemin et qui nous donnaient toujours des coups de crosse ou de
pieds. Pour les jeunes cela allait encore, ils étaient lestes et savaient
éviter ces divers écueils sur leur chemin,
mais il y avait des vieux, des estropiés, etc….. qui devaient faire tout
comme les autres. C’est sur ces malheureux que s’abattait toute la bestialité
de cette horde diabolique.
Pour
toucher nos repas nous devions passe en file indienne, sous une grêle de coups
de bâton. On nous sert cette eau bouillante si bien que nous ne pouvons porter
notre gamelle sans en renverser et, comme nous n’avons pas le droit de marcher,
il faut toujours courir, c’est quelques coups de plus sur nos côtes et presque
plus rien dans nos gamelles.
La
soupe et la tisane étaient perçues dans des récipients d’une contenance de 50
litres. Ces récipients vides, semblables au modèle de marmite norvégienne
utilisée dans l’armée française, pesaient environ 30 kilos ; pleins, ils
faisaient 50 kilos sans couvercle.
Pour
la tisane du matin ou du soir, 7 marmites étaient nécessaires ; pour la
soupe il en fallait 14. Ces marmites sont difficilement maniables, deux ou
quatre personnes peuvent les porter avec difficulté, d’autant plus qu’il
fallait faire attention pour ne pas se brûler, vu que les marmites étaient
dépourvues de couvercles – ceci intentionnellement. Ces malheureuses essayaient
bien de régler leur pas pour limiter au strict minimum les chocs afin d’éviter
les éclaboussures brûlantes de la tisane ou de la soupe mais cela était bien
difficile, d’autant que le chemin à parcourir était parfois assez long (pour
les baraques éloignées les cuisines étaient distantes de 1km500) et par une
route boueuse et glissante, pleine de fondrières ou par endroits on s’enfonçait
dans la boue jusqu’aux genoux. C’était un véritable supplice. Lorsqu’elles
ralentissaient leur marche, une femme S.S. ou un S.S. rappelait sa présence par
quelques coups de gourdin. Résignée, la plupart se raidissaient avec courage
mais leur état de santé souvent ne répondait pas à leur désir de vaillance.
Alors elles tombaient évanouies soit sous les coups, soit exténuées. Leur chute
avait pour conséquence le renversement de la marmite qu’elles portaient. La
soupe était répandue, c’était là tout le but recherché par les Allemands. Le
contenu n’étant pas remplacé, toute la collectivité en souffrait car il y avait
une répartition sur l’ensemble et la ration s’en trouvait diminuée. Comme cet
incident se renouvelait souvent, la ration normale, déjà insuffisante, se
trouvait réduite et il résultait un affaiblissement plus rapide.
C’était
toute une histoire pour obtenir une louche de soupe. Sur le grand nombre qui arrivait,
une centaine seulement l’avait. Les autres étaient chassés à coups de pied et
de poing.
Pour
avoir notre repas, il fallait faire la queue dans la cour, sous la pluie et le
froid, et attendre parfois une heure et demie avant d’être servies.
Pour
aller chercher notre soupe nous devions exécuter les ordres des sous-officiers
qui nous disaient de nous mettre en ligne à 150 mètres du bouteillon et de
venir en rampant jusqu’à lui. Lorsque nous arrivions, ils nous commandaient de
faire demi-tour et de revenir à cloche-pied, le tout accompagné de coups. Nous
ne savions comment nous caser pour manger notre soupe, nous allions dans les
couloirs ou les cabinets.
La
première fois que je suis allée chercher ma soupe, j’ai dû m’y rendre à quatre
pattes étant dans un état de faiblesse extrême.
Lors
de la distribution de nourriture, les scènes suivantes se passaient presque
journellement : a) si la colonne se tenait trop près du distributeur, le
surveillant donnait des coups généralement avec un gros bâton ou une latte sans
regarder où il tapait (si la colonne était trop éloignée du distributeur, la
même scène se répétait pour le motif inverse) ; b) si, par exemple, un
nouvel arrivant avait le malheur de sortir un peu la tête du rang pour regarder
comment il devait s’y prendre pour recevoir sa ration, c’était encore un motif
pour taper dedans. Généralement le surveillant prenait le fautif par les
cheveux, lui cognait la tête contre le mur de la baraque, lui donnait des coups
de pieds et le renvoyait sans lui donner à manger.
En
raison du surpeuplement, les cuisines insuffisantes, n’arrivaient plus à faire
la soupe, nous n’en avions plus qu’une par jour.
Il
arrivait souvent que l’on ne donnait rien à manger aux internés pendant des
jours et ils ne recevaient alors qu’une faible partie des rations qui leur
étaient dues.
Les
enfants étaient constamment tiraillés par la faim. Dès que la distribution
était faire, ils n’avaient qu’un désir, manger. Or, il leur était interdit de
manger pendant le rassemblement de l’appel. Si pour un adulte il est difficile
de résister à la tentation de manger lorsque l’on tient un morceau de pain et
que l’on a faim, c’est terrible pour un enfant. Une femme S.S. les surveillait
et, tous les trois ou quatre jours, ces pauvres petits se faisaient prendre en
train de manger. Immédiatement elles étaient sorties du rassemblement, leur
nourriture leur était retirée pour la journée et elles étaient tout de suite
punies de la façon suivante : elles étaient exposées en ligne, face au
soleil, à genoux, une grosse pierre sur la tête, les bras levés avec dans
chaque main un brique ou un pavé. Elles restaient dans cette position jusqu’à
la fin de l’appel, parfois deux ou trois heures, jusqu’à épuisement.
Nous
ne pouvions pas dormir parce que nous avions faim.
Affamées,
nous nous jetions sur les épluchures qui traînaient dans la boue, sur des
trognons abandonnés qui faisaient nos délices. Pour montrer à quel point nous
étions affamées ; un jour on nous avait envoyées défricher un champ de
colza, nous avons mangé du colza. Après notre départ, on aurait dit qu’une nuée
de sauterelles s’était abattue sur le champ.
Les
prisonnières mangeaient l’herbe au fur et à mesure qu’elle poussait.
Notre
faiblesse était telle que lorsque nous fûmes enfin délivrés de cet enfer, un
grand nombre d’entre nous mourut encore de faim et d’épuisement.
Les
chirurgiens américains signalèrent que les corps des adultes ne pesaient que 60
à 80 livres (28 à 36 kilos). Ils avaient, dans la plupart des cas, perdu 50 à
60% de leur poids normal et avait également diminué de grandeur.
Dans
tous les cas d’autopsie il a été constaté un état de dégénérescence du muscle
cardiaque, dégénérescence jaune du parenchyme hépatique, une disparition des
plis de la muqueuse gastrique intestinale.
L’intestin
présentait l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette chez les détenus
atteints de diarrhée chronique observée et connue au camp sous le nom de
« Durchfall » Contrairement à ce qu’on observait dans les autres
camps, la dysenterie bacillaire n’a pas fait ses preuves et la conclusion est
que la diarrhée « Durchfall » du camp était due à la pauvreté de
l’alimentation en protéines (matières albumineuses, œufs, viande, etc.).
Les
effets de ce régime étaient scientifiquement contrôlés. A chaque arrivage on
pesait es détenus pour établir le poids moyen de chaque lot de prisonniers.
Périodiquement, on les repesait pour constater leur amaigrissement. Les poids
moyens du camp, faisaient l’objet d’un compte rendu sur modèles imprimés
envoyés périodiquement à l’autorité supérieure.
Les
rations données aux prisonniers devaient les amener à la mort par
amaigrissement et inanition.
Nous
avons pu constater que l’un des camps, très proche du nôtre, était en effet un
camp où l’on faisait mourir les gens de cette façon.
Les
gens étaient constamment affamés ; on constatait l’épuisement en masse des
détenus et la mortalité due à l’inanition. On mangeait la charogne, on dévorait
les chats et les chiens. La plupart des internés n’étaient que des squelettes
ambulants tendus de peau, ou bien ils étaient exagérément gros par suite de
l’enflure et de la tuméfaction causée par la faim.
M.M.,
professeur au Collège de France, est mort littéralement de faim. Je l’ai vu,
étant préposé à la corvée de lavage des gamelles, essayer de récupérer un peu
de nourriture en grattant avec ses doigts le bord des gamelles.
Un
Français qui habitait près de la place de la République, ayant servi dans la
Légion étrangère, père de deux enfants, mutilé, ayant plusieurs blessures sur
le corps, est mort de faim.
J’ai
vu que les prisonniers de guerre russes, n’étant presque pas nourris, en
étaient arrivés à un tel point d’inanition qu’ils enflaient et ne pouvaient
même plus parler. Ils mourraient en masse.
Des
cas de cannibalisme se sont produits.
La
détresse des détenus était telle que certains dépeçaient les cadavres,
faisaient cuire les morceaux et les mangeaient …. Je les ai vus de mes yeux. On
voyait des cadavres avec un morceau de cuisse, le cœur, les testicules (c’était
très recherché) qui manquaient.
A suivre -Hygiène etc.
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