ARRIVÉE
Enfin
nous arrivons à onze heures du soir par une nuit opaque. Vision d’horreur,
vision d’épouvante, heures les plus pénibles de ma captivité. Cris de bêtes
sauvages, aboiements sinistres. Qu’était tout cela ? La réception des
geôliers escortés de leurs gros chiens loups admirablement dressés pour les
seconder dans leur rôle de garde-chiourme. Effrayés, nos jambes se refusent à
nous porter, nous ne pouvons plus avancer.
Le
wagon a été ouvert brusquement et les S.S. sont montés, ils nous ont vidés à
coups de crosse de baïonnette et à coups de bâtons en hurlant et ont lâché les
chiens. Ceux qui tombaient et ne pouvaient plus se relever étaient lacérés par
ceux-ci. J’avais une grande pèlerine, les chiens s’y sont accrochés, je la leur
ai abandonnée.
On
ôta des wagons les morts, les mourants et les bagages. Les morts, et par ce mot
il faut entendre tous ceux qui étaient incapables de se tenir debout, furent
empilés en un tas. Les bagages et les paquets furent rassemblés, les wagons de
chemins de fer furent nettoyés afin qu’il ne restât aucune trace de leur
horrible contenu.
Les
S.S. tuèrent près du train la plupart des enfants. M.A. vit ses deux petits
garçons s’affaisser à ses côtés. Des Français ont été abattus sur le quai de
débarquement par les S.S. .
J’ai
vu un S.S. prendre un gosse par les pieds et le jeter en l’air tandis qu’un
autre tirait sur cette cible vivante. Plus loin un S.S. arrache un bébé des
bras de sa mère et le déchire en deux en le tenant par une jambe et en
maintenant l’autre sous le pied.
Un
officier procède au triage ; il fait mettre tout le monde nu et demande le
compte du « déchet ». Le « déchet » ce sont les morts. Il y
en a 954.
Un
transport comprenait 800 cadavres pour 2 500 déportés. Le transport avait
fait d’abord 80 kilomètres à pied, puis avait été embarqué sur
« trucks » dans lesquels ils avaient voyagé pendant huit jours.
Comme
spectacle horrifiant, j’ai vu l’arrivée de transports venant particulièrement
de Grosskoyn. Les détenus étaient partis au nombre de 3 000, ils avaient
dû faire sans s’arrêter 60 kilomètres à pied, chassés à coups de bâtons sans
avoir mangé. Au bout de 60 kilomètres, ils ont été hissés sur des
« trucks » à 100 par véhicule, obligés de s’accroupir ; le
premier qui se relevait était abattu à coups de feu. Ils ont voyagé ainsi sept
jours et sept nuits. Ils sont arrivés avec 700 cadavres et 700 malades, qui, on
peut dire, sont morts par la suite. Ils sont descendus du train et là, ceux qui
n’ont pas pu marcher jusqu’au camp, ont été abattus.
Les
plus grands transports de Français arrivèrent au camp en juin 1944. A ce moment
j’ai vu des cadavres que je n’oublierai jamais. La brute nazie empilait dans
des wagons 100 à 400 hommes. Je me souvenais de notre convoi où nous étions
seulement 50 dans un wagon dans lequel nous ne pouvions plus bouger ni respirer
et je me demandais comment des hommes pouvaient arriver vivants dans ces
conditions. Ces personnes étaient toute mortes d’asphyxie, le visage
complètement noir, les lèvres horriblement dilatées. Il y avait plusieurs
camions de cadavres dans cet état, qu’il fut d’ailleurs impossible d’autopsier
et qu’il fallut mener au crématoire tout de suite ; ils avaient encore
tous leurs vêtements civils et portaient sur eux les photos de leur famille. On
était en juillet 1944 et le four crématoire fonctionnait toute la nuit.
On
sépare les femmes et les enfants les vieillards des autres déportés et nous
n’avons plus eu de nouvelles d’eux. Je crois que ma femme faisait partie de ce
tri est passée dans les chambres à gaz avec les autres.
Les
prisonniers défilent un par un devant un S.S. qui, d’un geste du doigt, indique
la direction qu’ils doivent prendre : à gauche, les hommes compris entre
20 et 45 ans et les femmes jeunes, donc
des gens capables de produire. A droite, tout le reste du convoi : femmes
et enfants, vieillards, malades, les inutilisables, les bouches inutiles.
Nous
fûmes conduits de la gare au camp à coups de crosse et sous la menace des
chiens.
Malgré
notre faiblesse nous dûmes faire les 5 kilomètres de la gare au camp à pied.
Les
S.S. nous avaient volées au passage de la frontière nos chaussures. Aussi
dûmes-nous faire le chemin qui nous séparait de la gare au camp pieds nus dans
la neige et la boue.
A
grands coups de poing dans le dos, à coups de pied, ces brutes nous somment
d’aller rapidement et en silence. Aucun retard, aucune défaillance n’était
toléré. Mes camarades déjà fatigués par le poids de leurs bagages sont
terrifiés et presque sans vie devant les hurlements de cette double meute, les
S.S. et leurs chiens.
La
grande majorité des détenus était dans l’impossibilité de marcher. Tous ceux
qui ne pouvaient marcher étaient laissés sur le bord de la route et on ne les a
plus jamais revus. Je puis préciser cela d’une façon absolument certaine car
j’étais employé à l’hôpital. Je n’ais jamais revu aucun de ceux que nous avons
abandonné sur la route. Tout porte à croire qu’ils ont été supprimés.
Le
trajet, il fallait l’effectuer en courant ; les vieux qui ne pouvaient pas
courir tombaient et étaient achevés à coupes de crosse.
Quelques
jours après, arrivage de 700 Russes dans le même état que les précédents. Ils
sont affamés, on dirait de véritables bêtes. Ils sont gardés par les soldats
allemands qui, pour la moindre chose, tirent.
Est
arrivé au camp un convoi de Juifs de Budapest qui sont venus à pied dans la
neige. N’ayant plus rien à manger depuis plus d’une semaine, n’ayant pas d’eau,
ils mangeaient de la neige. A leur arrivée sur la place ils ont été rangés avec
défense de s’asseoir et interdiction pour nous autres détenus du camp de les
approcher. De temps à autre l’un d’entre eux tombait mort. Derrière cette
colonne suivaient les camions de ramassage où s’entassaient plusieurs centaines
de morts. On les déchargeait comme on aurait ait de barres de fer.
Des
milliers de malheureux, poussés par des S.S. et leurs chiens, étaient morts de
fatigue ou abattus comme des animaux sur la route dans la neige.
Avant
d’entrer au camp, vérifications de la liste des détenus qui accompagnaient
notre convoi : chaque prisonnier était appelé et devait donner son nom.
S’il le prononçait à la française et qu’il était inintelligible pour les
Allemands, il recevait un coup de matraque. Un
jeune S.S. de 17 ans qui venait de Transylvanie (dont j’ignore le nom) a
cassé ainsi deux matraques sur le dos des arrivants.
Devant
la porte et dans le couloir étaient postés des jeunes S.S. qui tapaient sur les
arrivants soit avec la main, même avec la crosse de leur fusil, soit avec les
pieds. Dans une sorte de vestibule étaient postés, visages contre le mur, une
vingtaine de prisonniers. Par des vociférations et des coups, on faisait
comprendre aux arrivants (Français, Russes, Polonais, Belges, Allemands, etc.)
qu’ils avaient à prendre la même attitude que leurs devanciers. Gare à celui
qui tournait la tête ou qui bougeait un peu. Les coups pleuvaient sur le
malheureux qui, pour la plupart du temps, ne savait pas pourquoi il était
battu. De temps à autre quelqu’un criait : « les suivants » (die
nachsten).
Comme
la plupart ne comprenait pas l’allemand, personne ne bougeait. Ceux qui
devaient entrer au bureau étaient alors battus à outrance. Beaucoup tombaient
et étaient malmenés à coups de pied. Cela continuait à l’intérieur du bureau …
j’étais plus mort que vivant lorsque vint mon tour d’entrer.
Deux
géants fouettaient avec des courroies de cuir les détenus au fur et à mesure de
leur entrée
Pour
ma part j’ai eu trois dents arrachées et la lèvre ouverte par un sous-officier
S.S. dont je ne connais pas le nom.
Au
camp même nous commençâmes à être frappés dès l’arrivée.
Le
nombre des geôlières augmente ; les mauvais traitements vont de pair.
C’est à celle qui frappera le plus fort, bousculera le plus sauvagement.
Il
faisait presque nuit. Nous devons marcher en colonne par trois et au pas pour
faire les 100 mètres qui nous séparaient de notre baraque. Nous étions entourés
par les S.S. Lorsqu’il y avait quelqu’un qui ne marchait pas au pas ou qui
sortait un peu du rang, ou qui tournait la tête, il était battu soit avec la
crosse du fusil, soit à coups de pieds. Arrivés devant notre baraque, on nous
dit de rentrer dans la cellule n°4. C’est encore à grands coups qu’on nous fit
trouver notre cellule qui ne portait pas de numéro.
Les
jeunes filles flagellées. Elles reçurent 30 coups de cravache sur les fesses
nues. L’opération se fit en présence du chef du camp, d’un médecin et de la
gardienne chef.
Dès
l’arrivée au camp, immatriculation par tatouage sur l’avant-bras gauche.
On
me marqua un chiffre au fer rouge.
Nous
perdions toute personnalité, nous devenions un numéro.
Les
enfants et les nourrissons eux-mêmes étaient tatoués.
En
arrivant au camp, les Russes ont trouvé un nourrisson de deux semaines portant
un numéro matricule.
Pour
la désinfection, c’était le déshabillage
complet. On visitait les oreilles et toutes les parties du corps pour voir s’il
n’y avait pas quelque chose caché. On passait dans une première chambre :
épilation complète au rasoir électrique et à la tondeuse.
Aucune
partie velue du corps n’échappait au rasoir.
Vous
assistiez impuissante à la disparition totale de votre chevelure sous la
tondeuse.
En
général, 7 femmes sur 10 tondues, on ne savait pas pourquoi, c’était une
moyenne à eux.
Ur
les 964 femmes de notre convoi environ 600 ont été tondues. Cela se faisait au
hasard, sans aucune discrimination.
Lorsqu’on
nous tondait, on nous donnait une explication rassurante : les textiles
animaux sont plus chauds que les textiles végétaux, alors rassurez-vous, rien
n’est perdu, l’industrie allemande récupère tout ; avec vos cheveux nous
ferons des couvertures, des vêtements de S.S., etc. En effet, alors que nous
n’avions rien à nous mettre, les chiens S.S. portaient des manteaux (avec
l’inscription S.S.) qui étaient souvent faits avec nos chevelures.
On
nous faisait ensuite passer dans une seconde chambre qui était la douche, on
nous plongeait dans une immense baignoire remplie d’une solution à base de
phénol. Les gens trop fatigués mourraient à la sortie de cette baignoire car
l’opération était très pénible ; d’autres tombaient en syncope et ne se
relevaient plus.
Au
moment du passage à la baignoire, j’ai vu un vieux Français qui avait été sorti
du wagon par ses camarades, traîné ensuite au déshabillage et à la tondeuse
puis à la douche. Là, deux brutes lui ont donné des coups de poing. Puis, pris
par les épaules et par les pieds, il fut balancé dans la baignoire où il est
mort. Il fut ensuite jeté dans un coin.
Brutalement,
elles nous poussent vers une grande salle destinée aux douches. Là nous passons
par cinq et chacune à notre tour nous sommes fouillées très profondément. Je
dis bien « profondément » car c’est jusqu’aux profondeurs du vagin
qu’on nous visite Les femmes S.S. pratiquent le toucher vaginal de l’une à
l’autre sans se laver les main, même sur les toutes jeunes filles, en présence
des S.S. hommes et les chiens qui bondissent sur les prisonnières nues quand
elles bougent.
Les
Allemand faisaient des fiches pour
chacune de nous et ils inscrivaient des maladies qui n’existaient pas. Moi, par
exemple je figure comme pulmonaire et cardiaque alors qu’aujourd’hui, après
tant de souffrances : typhus, double pneumonie, etc. les examens récents
que je viens de faire révèlent que mes poumons sont en parfaite santé alors
qu’au cœur je n’ai qu’une faiblesse due au régime subi les 4 années ½ de
détention dont deux ans en Allemagne. Les Allemands procédaient ainsi afin de
pouvoir justifier un jour d’une mort survenue naturellement.
On
nous dépouille de nos vêtements et de tous objets personnels. Rien ne doit
rappeler notre chez nous.
Puis
nous fûmes habillés avec des haillons (occasion naturellement de nous voler nos
vêtements) et, enfin chaussés de claquettes, soit d’une des choses les plus
infernales du camp. Ces claquettes composées d’une semelle de bois de buis
(puis ensuite en bois de hêtre) et d’une simple bande à l’extrémité du pied
pour les maintenir, obligeaient ceux qui les portaient à lever les pieds assez
hauts à chaque pas.
Très
souvent, lorsque les convois arrivaient, le camp était surpeuplé. Il n’y avait
donc pas de place pour recevoir les nouveaux arrivants. Les détenus devaient
attendre deux ou trois jours leur admission dans les blocks. Ils restaient
dehors sans nourriture car ils ne faisaient pas partie de l’effectif du camp
tans qu’ils n’étaient pas affectés dans les blocks. Le résultat d’une telle
attente était la maladie (pneumonie, bronchite, etc.) d’un grand nombre de
détenus.
Nous
avions été parqués dans une tente à mille deux cents, et un soir j’ai voulu
avec un de mes camarades, M.P.S. de Paris, en mesurer la superficie : nous
avons trouvé que cette tente avait 25 mètres carrés. Nous devions naturellement
nous tenir plus ou moins debout, et finissions par tomber les uns sur les
autres.
Nous
sommes restés une dizaine de jours à coucher sur la terre mouillée sans
couverture, sans paille et, évidemment, sans feu. En novembre 1939 après la
campagne de Pologne, environ 2 000 P.G. polonais sont arrivés au camp.
Sous prétexte d’épouillage, ils ont été déshabillés complétement par un froid
rigoureux (12° en dessous de zéro) et parqués dans un petit rectangle entouré
de barbelés ; leurs effets furent incinérés. Ils recevaient pour toute
nourriture 1/10ème de boule de pain par jour. Au bout de trois
semaines, il n’en restait plus qu’une dizaine. Tous les autres sont morts de
froids et de privations.
A suivre
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