2015 c’est maintenant mais rien ou pratiquement rien n’a changé
pour les Rrom Tsiganes et autres groupes.
Respecter notre culture, construire des aires de
stationnement ou de grands passages (pas sur des anciens dépôts d’immondices comme
c’est très souvent le cas) et surtout donner de réelles perspectives sans
frontières nomades (suppression pleine et entière du carnet de circulation,
droit à l’embauche, scolarisation dans des
classes plurielles) comme tout un chacun bases même d’une certaine
intégration.
70 années après la guerre la liberté, la vraie les
tziganes ne l’ont toujours pas trouvé.
Le prochain
élargissement de l’Union va mettre en pleine lumière la présence primordiale
des Rrom et des Tziganes en Europe. Cette présence impose plus que jamais de
remettre en cause la manière dont l’Europe construit ses frontières et de donner
la citoyenneté européenne de l’appartenance à l’un des États membres. A
l’opposé du traitement infligé aux Rrom en France ces derniers mois,
l’existence même de ces peuples requiert donc de remettre en chantier le projet
d’une démocratie européenne.
Les frontières de
l’Europe sont géographiquement indéfinissables et historiquement
indéterminables. Politiquement, elles sont évolutives…
Les frontières de
l’Europe sont "mobiles", mais en un sens complexe, comme quand il s’agit
de définir la mobilité tzigane : bien plus culturelle que nomade.
Dire d’une frontière
qu’elle est mobile revient alors à dire qu’elle n’existe pas, qu’elle n’est
qu’une barrière administrative nécessairement provisoire. « La terre
appartient à tous ».
L’Europe en
construction est sans frontières véritables, lui en fixer la tue. L’Europe
politique ne peut cesser de croître. La délimiter la réduit à n’être qu’une
addition d’États-nations : six, neuf, douze, quinze, vingt-cinq en 2004,
peut-être trente ou quarante en 2020.
L’augmentation du
nombre des États constituant l’Union Européenne ne crée pas l’Europe ; elle
n’en démontre que l’infinitude !
Les Rrom et Tziganes se
déclarent à la fois "nation sans territoire" et "peuple
européen". Les dix à douze millions de Rrom - indénombrables mais point
innombrables - qui sont, depuis plus d’un demi millénaire, installés en Europe
(bien que présents aussi, en bien moins grand nombre, sur les autres
continents), revendiquent d’être, en Europe, partout chez eux, non par
principe, mais par pratique.
Cette prétention nous
interpelle ! Et cette interpellation tzigane pose des questions politiques! Où
sont nos frontières européennes ?
Si les Rrom de Roumanie
sont européens, ils auront été européens avant que la Roumanie ne devienne
européenne ! A moins que l’européanité des Tziganes roumains ne soit l’une des
conditions de l’européanité de la Roumanie… La présence de Rrom de Roumanie
dans quelques États de l’actuelle Union Européenne prend alors un tout autre
sens…
Si les Rrom des Balkans
sont européens, particulièrement ceux qui manipulent déjà l’euro comme monnaie
du pays où ils vivent (par exemple au Kosovo !) et alors même que ces pays sont
encore loin d’entrer dans l’Union européenne, n’est-ce pas une façon de dire
qu’il ait des frontières floues ou incertaines (entre la Serbie-Monténégro et
l’Albanie, ou entre la Grèce et la Macédoine, notamment) ?
Si les Rrom musulmans
de Bulgarie, si proches des Rrom de Turquie, sont européens, faut-il comprendre
qu’ils seront, dès 2017 ou 2020, porteurs de l’espoir d’une partie des Turcs
voulant entrer prochainement dans l’Union, et même, sont-ils déjà l’une des
manifestations de la dimension musulmane de l’Europe depuis des siècles ?
Si les Rrom orthodoxes
d’Ukraine sont européens, doit-on considérer que l’étape suivante du processus
politique engagé peut amener l’Ukraine dans l’Union européenne? Plus largement
ne faut-il pas concevoir l’Europe politique à l’image du Conseil de l’Europe,
comprenant un vaste vivier de 45 États membres, l’Union Européenne n’en
constituant plus que la forme économique et administrative la plus achevée, la
composante politique la mieux compatible de ce grand ensemble ?
Si les Rrom d’Europe,
enfin, se découvrent européens sans se penser d’abord citoyens de l’un des États membres qui donnent accès à la citoyenneté européenne, faut-il considérer
qu’il est possible d’enjamber la citoyenneté nationale pour se définir européen
?
Penser les frontières
de l’Europe à l’examen des questions que pose la répartition des Rrom et Tziganes
en Europe peut apparaître dérisoire compte tenu du maigre intérêt porté par les
grandes instances politiques à l’égard de cette minorité dispersée, sans territoire
et, à première vue, sans moyens de pression.
En réalité, nul
n’ignore, qu’à moins de retomber dans des politiques eugénistes,
exterminatrices ou assimilationnistes, que l’histoire a déjà condamnés,
l’Europe ne se fera pas sans les Rrom et, partout où sont les Rrom, se pose et
ne cessera de se poser la question de l’Europe et singulièrement celle de ses
frontières !
Ainsi, vouloir l’Europe
sans y intégrer les Balkans devient, au moment où est entrée la Roumanie et
lorsque entrera la Bulgarie dans l’Union, met au grand jour le non-sens (représenté
par ce conflit qui s’était ouvert dans
l’ex-Yougoslavie n’excuse plus, maintenant que des États membres de l’Union
sont présents, au sein de la KAFOR, notamment en Bosnie ou au Kosovo…).
On objectera qu’il n’est
déjà pas si simple de fonctionner à vingt-cinq et que l’Europe ne peut se faire
à marche forcée, mais précisément, c’est l’élargissement qui s’est effectués en
2004 qui a impliqué l’obligation de revoir des périmètres frontaliers qui
cessent d’être pertinents, s’ils l’ont jamais été!.
Partout où, sur notre
continent, vivent les Rrom et Tziganes existe une perspective européenne, et
sans s’appesantir sur la définition gaullienne de l’Europe "de
l’Atlantique à l’Oural", il est inévitable d’articuler la part occidentale
de la Russie avec l’Europe. A qui l’aurait oublié, une enclave russe, celle de
Kaliningrad qu’aucun Etat européen n’ose revendiquer, rappelle que la Russie a
un pied en Europe, présente qu’elle est dans l’ex-capitale de la Prusse,
Königsberg, la ville que n’a pratiquement jamais quittée Emmanuel Kant (ce
philosophe qui, de la rotondité de la Terre, induisait l’inéluctabilité de
l’hospitalité universelle et de la paix perpétuelle) !
Si le pragmatisme
politique contraint de procéder par étape, jamais le regard ne doit quitter
l’horizon de la réalité et les véritables frontières de l’Europe sont, nous le
savons depuis longtemps, des limites de zones, d’espaces souples, en fin de
compte non bornables en dépit de toutes les douanes et polices d’État. Il ne
serait point si difficile de "se coltiner les frontières", comme nous
le conseillait Étienne Balibar, si elles constituaient des lignes et des
délimitations une bonne fois repérées ! L’autorité internationale ne suffit
plus à fixer des frontières qui sont des marges dont la largeur fluctue (où est
la Moldavie, tant à l’Est qu’à l’Ouest ?), ou que ne respectent pas les peuples
qui résident dans ces bordures d’Etat plusieurs fois déplacées ou constamment
remises en causes (quel est l’espace européen de Chypre ?).
Ces mouvances non
seulement font penser aux incertitudes tziganes qui font de leur commun une
réalité culturelle et non la propriété d’un sol à gérer, mais elles donnent de
l’organisation politique des sociétés une approche moins mécaniste, moins
national-étatique, moins "bornée", moins enfermée dans une définition
close, frontalière et territorialisée.
L’Europe, sous cet
éclairage, ne peut être enfermée dans des limites. Elle est un projet. Elle est
un projet précisément sans limites. Elle est, dit Derrida, le projet de la
démocratie elle-même.
La démocratie implique
une participation effective à la détermination des choix de la vie en commun.
Et voici qu’est venu le temps d’effectuer ces choix à l’échelle de l’Europe.
Pas à plus grande échelle : à plus fine échelle ! Pas en noyant les décisions
dans un ensemble plus vaste, mais en prenant ces décisions au niveau le plus
adéquat. Une Europe non démocratique n’aurait pas plus de sens qu’une eau
sèche.
Paul Valéry et bien
après lui Jacques Derrida
ont tour à tour rappelé, ce rôle lumineux et très ambigu, éclairant et
dangereux de l’Europe, cap de l’Asie qui s’est voulu "chef" ou tête
de ce monde en quête d’une république pour l’ensemble de l’humanité. Cette
problématique des lumières apportées au reste de l’humanité, et dont ont été
expérimentées la dynamique généreuse ainsi que la virulence destructrice, ne
peut plus s’imposer sur l’ensemble de la planète par la force et ceux qui le
pensent encore, qu’ils soient résidents en Europe ou venus de l’Europe, se
contredisent eux-mêmes !
Est-ce une nouvelle
utopie philosophique, une "utopie nomade" pour reprendre la belle
formule de René Schérer, que celle de tous les citoyens qui se donnent comme
patrie commune non plus un lieu parmi d’autres, mais l’espace et le temps
communs donnés à vivre ? La seule mondialisation possible, possible parce que
pensable, est cosmopolite et universelle : voici revenue en pleine actualité la
parole d’Emmanuel Kant qui s’évertuait à démontrer que, parce que la Terre est
ronde et donc limitée, nous n’aurons d’autre choix que d’y pratiquer la paix.
L’Europe est sans
frontières non seulement parce qu’elle n’est pas délimitable mais parce que
c’est la Terre elle-même qui n’est plus sans limites… Sur une sphère, les conquêtes
sont vaines et les frontières toujours repoussables, indéfiniment, pour en
revenir toujours au point d’où l’on est parti ! L’Europe est sans frontières
parce que le monde n’en a plus !
S’il est une Europe
sans frontière, ce ne peut être celle que se réservent les ayant-droit mais
celle que recherchent les "ayant-rien". Le désir d’Europe à l’Est de
l’Europe est un désir de survie.
L’Europe sans
frontières à laquelle aspirent non seulement les dix ou douze nouveaux membres
sur le point d’accéder à l’Union, mais les peuples qui l’encerclent (ou qui la
"bordent"), cette Europe n’est point l’Europe des États-nations.
C’est l’Europe des peuples pensés comme des nations non-ethniques. C’est
l’Europe des diversités non cloisonnées, l’Europe des pluralités.
L’Europe des
"sans", des "sans de tout acabit", dont les Rrom et Tziganes
ne constituent que l’une des figures bien identifiée, cette Europe-là découvre
une Europe sans frontières qui n’est pas sienne et lui reste impénétrable.
L’Europe des marchés et des marchandises est sans frontières, mais l’Europe des
"sans" (sans avoir, sans pouvoir, sans savoir, sans toit, sans
papiers, etc.) rencontre des frontières physiques maintenues.
Le débat politique
central de la prochaine campagne des élections européennes historiques qui vont
permettre à des peuples entiers de s’exprimer ensemble pour désigner les
membres de la même assemblée, ne portera pas sur la continuation ou
l’interruption du processus politique européen ; il portera sur la possibilité
de construire l’Europe sans l’inféoder à l’économie libérale.
Les Rrom et Tziganes
d’Europe, qui feront et c’est inévitable, une entrée importante et remarquée
dans l’Union européenne, compte tenu du poids démographique au sein des
populations nouvelles venues, vont obliger les plus attentifs des acteurs de ce
débat à prendre en considération, dans le nouveau contexte européen, les
questions relatives à la misère, aux différences, à la liberté de circuler et à
la citoyenneté.
A chaque fois, c’est de
frontières à dépasser qu’il sera question : frontières sociales, frontières
ethniques, frontières territoriales et frontières institutionnelles.
L’Europe libérale sera
une Europe ségrégative : les citoyens modestes n’y adhéreront pas. L’Europe
interétatique continuée sera l’Europe perdurante des Etats-nations : la
diversité culturelle de l’Europe n’y trouvera pas son compte et les conflits
ethniques ressurgiront. L’Europe-forteresse, protégée à l’intérieur comme à
l’extérieur, sera inévitablement une Europe sur la défensive et dominée par la
contrainte : l’initiative, la rencontre, la culture, les langues, bref la vie
s’en trouvera bridée et l’attachement à l’Europe s’effritera. Enfin, l’Europe
constitutionnelle, si elle n’est que le plus petit dénominateur commun entre
les États, sans qu’un saut qualitatif se produise, empêchera au lieu de la promouvoir
la citoyenneté européenne, qui peut et doit dépasser les citoyennetés
nationales au lieu d’en dépendre.
N’oublions jamais que
Marx et Engels avaient soulevé ce grave problème en soulignant que le dernier
stade de restructuration du capitalisme serait l’Europe supranationale et les
évènements en Grèce et la volonté de Madame Merkel de faire payer des impôts aux
ressortissants Belges ayant subis le Service Travail Obligatoire (S.T.O.)
pendant la seconde guerre mondiale nous prouve que rien n’est jamais figé et
rien ne sera figé qu’il faut que nos communautés soient extrêmement vigilantes
à tous les niveaux de même que pour Monsieur le Président Hollande la
reconnaissance du génocide tzigane soyons en convaincus ne règle aucun des problèmes majeur des Rrom ou tziganes.
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