mercredi 22 juillet 2015

L’Europe et toutes ses questions pour nos communautés





2015 c’est  maintenant mais rien ou pratiquement rien n’a changé pour les Rrom Tsiganes et autres groupes.

Respecter notre culture, construire des aires de stationnement ou de grands passages (pas sur des anciens dépôts d’immondices comme c’est très souvent le cas) et surtout donner de réelles perspectives sans frontières nomades (suppression pleine et entière du carnet de circulation, droit à l’embauche, scolarisation dans des  classes plurielles) comme tout un chacun bases même d’une certaine intégration.     

70 années après la guerre la liberté, la vraie les tziganes ne l’ont toujours pas trouvé.

Le prochain élargissement de l’Union va mettre en pleine lumière la présence primordiale des Rrom et des Tziganes en Europe. Cette présence impose plus que jamais de remettre en cause la manière dont l’Europe construit ses frontières et de donner la citoyenneté européenne de l’appartenance à l’un des États membres. A l’opposé du traitement infligé aux Rrom en France ces derniers mois, l’existence même de ces peuples requiert donc de remettre en chantier le projet d’une démocratie européenne.

Les frontières de l’Europe sont géographiquement indéfinissables et historiquement indéterminables. Politiquement, elles sont évolutives…

Les frontières de l’Europe sont "mobiles", mais en un sens complexe, comme quand il s’agit de définir la mobilité tzigane : bien plus culturelle que nomade.

Dire d’une frontière qu’elle est mobile revient alors à dire qu’elle n’existe pas, qu’elle n’est qu’une barrière administrative nécessairement provisoire. «  La terre appartient à tous ».

L’Europe en construction est sans frontières véritables, lui en fixer la tue. L’Europe politique ne peut cesser de croître. La délimiter la réduit à n’être qu’une addition d’États-nations : six, neuf, douze, quinze, vingt-cinq en 2004, peut-être trente ou quarante en 2020.

L’augmentation du nombre des États constituant l’Union Européenne ne crée pas l’Europe ; elle n’en démontre que l’infinitude !

Les Rrom et Tziganes se déclarent à la fois "nation sans territoire" et "peuple européen". Les dix à douze millions de Rrom - indénombrables mais point innombrables - qui sont, depuis plus d’un demi millénaire, installés en Europe (bien que présents aussi, en bien moins grand nombre, sur les autres continents), revendiquent d’être, en Europe, partout chez eux, non par principe, mais par pratique.

Cette prétention nous interpelle ! Et cette interpellation tzigane pose des questions politiques! Où sont nos frontières européennes ?

Si les Rrom de Roumanie sont européens, ils auront été européens avant que la Roumanie ne devienne européenne ! A moins que l’européanité des Tziganes roumains ne soit l’une des conditions de l’européanité de la Roumanie… La présence de Rrom de Roumanie dans quelques États de l’actuelle Union Européenne prend alors un tout autre sens…
Si les Rrom des Balkans sont européens, particulièrement ceux qui manipulent déjà l’euro comme monnaie du pays où ils vivent (par exemple au Kosovo !) et alors même que ces pays sont encore loin d’entrer dans l’Union européenne, n’est-ce pas une façon de dire qu’il ait des frontières floues ou incertaines (entre la Serbie-Monténégro et l’Albanie, ou entre la Grèce et la Macédoine, notamment) ?

Si les Rrom musulmans de Bulgarie, si proches des Rrom de Turquie, sont européens, faut-il comprendre qu’ils seront, dès 2017 ou 2020, porteurs de l’espoir d’une partie des Turcs voulant entrer prochainement dans l’Union, et même, sont-ils déjà l’une des manifestations de la dimension musulmane de l’Europe depuis des siècles ?

Si les Rrom orthodoxes d’Ukraine sont européens, doit-on considérer que l’étape suivante du processus politique engagé peut amener l’Ukraine dans l’Union européenne? Plus largement ne faut-il pas concevoir l’Europe politique à l’image du Conseil de l’Europe, comprenant un vaste vivier de 45 États membres, l’Union Européenne n’en constituant plus que la forme économique et administrative la plus achevée, la composante politique la mieux compatible de ce grand ensemble ?

Si les Rrom d’Europe, enfin, se découvrent européens sans se penser d’abord citoyens de l’un des États membres qui donnent accès à la citoyenneté européenne, faut-il considérer qu’il est possible d’enjamber la citoyenneté nationale pour se définir européen ?

Penser les frontières de l’Europe à l’examen des questions que pose la répartition des Rrom et Tziganes en Europe peut apparaître dérisoire compte tenu du maigre intérêt porté par les grandes instances politiques à l’égard de cette minorité dispersée, sans territoire et, à première vue, sans moyens de pression.

En réalité, nul n’ignore, qu’à moins de retomber dans des politiques eugénistes, exterminatrices ou assimilationnistes, que l’histoire a déjà condamnés, l’Europe ne se fera pas sans les Rrom et, partout où sont les Rrom, se pose et ne cessera de se poser la question de l’Europe et singulièrement celle de ses frontières !

Ainsi, vouloir l’Europe sans y intégrer les Balkans devient, au moment où est entrée la Roumanie et lorsque entrera la Bulgarie dans l’Union, met au grand jour le non-sens (représenté par ce  conflit qui s’était ouvert dans l’ex-Yougoslavie n’excuse plus, maintenant que des États membres de l’Union sont présents, au sein de la KAFOR, notamment en Bosnie ou au Kosovo…).

On objectera qu’il n’est déjà pas si simple de fonctionner à vingt-cinq et que l’Europe ne peut se faire à marche forcée, mais précisément, c’est l’élargissement qui s’est effectués en 2004 qui a impliqué l’obligation de revoir des périmètres frontaliers qui cessent d’être pertinents, s’ils l’ont jamais été!.

Partout où, sur notre continent, vivent les Rrom et Tziganes existe une perspective européenne, et sans s’appesantir sur la définition gaullienne de l’Europe "de l’Atlantique à l’Oural", il est inévitable d’articuler la part occidentale de la Russie avec l’Europe. A qui l’aurait oublié, une enclave russe, celle de Kaliningrad qu’aucun Etat européen n’ose revendiquer, rappelle que la Russie a un pied en Europe, présente qu’elle est dans l’ex-capitale de la Prusse, Königsberg, la ville que n’a pratiquement jamais quittée Emmanuel Kant (ce philosophe qui, de la rotondité de la Terre, induisait l’inéluctabilité de l’hospitalité universelle et de la paix perpétuelle) !

Si le pragmatisme politique contraint de procéder par étape, jamais le regard ne doit quitter l’horizon de la réalité et les véritables frontières de l’Europe sont, nous le savons depuis longtemps, des limites de zones, d’espaces souples, en fin de compte non bornables en dépit de toutes les douanes et polices d’État. Il ne serait point si difficile de "se coltiner les frontières", comme nous le conseillait Étienne Balibar, si elles constituaient des lignes et des délimitations une bonne fois repérées ! L’autorité internationale ne suffit plus à fixer des frontières qui sont des marges dont la largeur fluctue (où est la Moldavie, tant à l’Est qu’à l’Ouest ?), ou que ne respectent pas les peuples qui résident dans ces bordures d’Etat plusieurs fois déplacées ou constamment remises en causes (quel est l’espace européen de Chypre ?).

Ces mouvances non seulement font penser aux incertitudes tziganes qui font de leur commun une réalité culturelle et non la propriété d’un sol à gérer, mais elles donnent de l’organisation politique des sociétés une approche moins mécaniste, moins national-étatique, moins "bornée", moins enfermée dans une définition close, frontalière et territorialisée.

L’Europe, sous cet éclairage, ne peut être enfermée dans des limites. Elle est un projet. Elle est un projet précisément sans limites. Elle est, dit Derrida, le projet de la démocratie elle-même.

La démocratie implique une participation effective à la détermination des choix de la vie en commun. Et voici qu’est venu le temps d’effectuer ces choix à l’échelle de l’Europe. Pas à plus grande échelle : à plus fine échelle ! Pas en noyant les décisions dans un ensemble plus vaste, mais en prenant ces décisions au niveau le plus adéquat. Une Europe non démocratique n’aurait pas plus de sens qu’une eau sèche.

Paul Valéry et bien après lui Jacques Derrida ont tour à tour rappelé, ce rôle lumineux et très ambigu, éclairant et dangereux de l’Europe, cap de l’Asie qui s’est voulu "chef" ou tête de ce monde en quête d’une république pour l’ensemble de l’humanité. Cette problématique des lumières apportées au reste de l’humanité, et dont ont été expérimentées la dynamique généreuse ainsi que la virulence destructrice, ne peut plus s’imposer sur l’ensemble de la planète par la force et ceux qui le pensent encore, qu’ils soient résidents en Europe ou venus de l’Europe, se contredisent eux-mêmes !

Est-ce une nouvelle utopie philosophique, une "utopie nomade" pour reprendre la belle formule de René Schérer, que celle de tous les citoyens qui se donnent comme patrie commune non plus un lieu parmi d’autres, mais l’espace et le temps communs donnés à vivre ? La seule mondialisation possible, possible parce que pensable, est cosmopolite et universelle : voici revenue en pleine actualité la parole d’Emmanuel Kant qui s’évertuait à démontrer que, parce que la Terre est ronde et donc limitée, nous n’aurons d’autre choix que d’y pratiquer la paix.

L’Europe est sans frontières non seulement parce qu’elle n’est pas délimitable mais parce que c’est la Terre elle-même qui n’est plus sans limites… Sur une sphère, les conquêtes sont vaines et les frontières toujours repoussables, indéfiniment, pour en revenir toujours au point d’où l’on est parti ! L’Europe est sans frontières parce que le monde n’en a plus !

S’il est une Europe sans frontière, ce ne peut être celle que se réservent les ayant-droit mais celle que recherchent les "ayant-rien". Le désir d’Europe à l’Est de l’Europe est un désir de survie.

L’Europe sans frontières à laquelle aspirent non seulement les dix ou douze nouveaux membres sur le point d’accéder à l’Union, mais les peuples qui l’encerclent (ou qui la "bordent"), cette Europe n’est point l’Europe des États-nations. C’est l’Europe des peuples pensés comme des nations non-ethniques. C’est l’Europe des diversités non cloisonnées, l’Europe des pluralités.

L’Europe des "sans", des "sans de tout acabit", dont les Rrom et Tziganes ne constituent que l’une des figures bien identifiée, cette Europe-là découvre une Europe sans frontières qui n’est pas sienne et lui reste impénétrable. L’Europe des marchés et des marchandises est sans frontières, mais l’Europe des "sans" (sans avoir, sans pouvoir, sans savoir, sans toit, sans papiers, etc.) rencontre des frontières physiques maintenues.

Le débat politique central de la prochaine campagne des élections européennes historiques qui vont permettre à des peuples entiers de s’exprimer ensemble pour désigner les membres de la même assemblée, ne portera pas sur la continuation ou l’interruption du processus politique européen ; il portera sur la possibilité de construire l’Europe sans l’inféoder à l’économie libérale.

Les Rrom et Tziganes d’Europe, qui feront et c’est inévitable, une entrée importante et remarquée dans l’Union européenne, compte tenu du poids démographique au sein des populations nouvelles venues, vont obliger les plus attentifs des acteurs de ce débat à prendre en considération, dans le nouveau contexte européen, les questions relatives à la misère, aux différences, à la liberté de circuler et à la citoyenneté.

A chaque fois, c’est de frontières à dépasser qu’il sera question : frontières sociales, frontières ethniques, frontières territoriales et frontières institutionnelles.

L’Europe libérale sera une Europe ségrégative : les citoyens modestes n’y adhéreront pas. L’Europe interétatique continuée sera l’Europe perdurante des Etats-nations : la diversité culturelle de l’Europe n’y trouvera pas son compte et les conflits ethniques ressurgiront. L’Europe-forteresse, protégée à l’intérieur comme à l’extérieur, sera inévitablement une Europe sur la défensive et dominée par la contrainte : l’initiative, la rencontre, la culture, les langues, bref la vie s’en trouvera bridée et l’attachement à l’Europe s’effritera. Enfin, l’Europe constitutionnelle, si elle n’est que le plus petit dénominateur commun entre les États, sans qu’un saut qualitatif se produise, empêchera au lieu de la promouvoir la citoyenneté européenne, qui peut et doit dépasser les citoyennetés nationales au lieu d’en dépendre.

N’oublions jamais que Marx et Engels avaient soulevé ce grave problème en soulignant que le dernier stade de restructuration du capitalisme serait l’Europe supranationale et les évènements en Grèce et la volonté de Madame Merkel de faire payer des impôts aux ressortissants Belges ayant subis le Service Travail Obligatoire (S.T.O.) pendant la seconde guerre mondiale nous prouve que rien n’est jamais figé et rien ne sera figé qu’il faut que nos communautés soient extrêmement vigilantes à tous les niveaux de même que pour Monsieur le Président Hollande la reconnaissance du génocide tzigane soyons en convaincus ne règle aucun des problèmes majeur des Rrom ou tziganes. 

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