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Surveiller de près un
aussi immense complexe comprenant des milliers de « Häfltlinge » est
impossibles pour les seuls SS; aussi inventent-ils un système diabolique qui
leur évite les longs contrôles, les surveillances, les interventions à
l’intérieur du camp pour faire respecter l’ordre : il s’agit de diviser pour
régner, de dresser les prisonniers les uns contre les autres, donc de les
identifier et de les « catégoriser » clairement en créant une hiérarchie de
détenus et en confiant la gestion interne du camp et des baraques aux plus vils
d’entre eux, avec droit de vie et de mort sur leurs compagnons de misère…
A Auschwitz, outre les
tatouages, on distingue les diverses catégories de prisonniers à la couleur du
triangle qu'ils portent sur leur « rayé ». Au début, ces triangles sont cousus
à part, mais par la suite ils sont peints à côté du numéro sur un morceau de
toile rectangulaire. Sur le triangle de couleur variable est inscrite
l’initiale du pays d’origine du détenu : « P » pour Pologne, « F » pour France…
(Les Allemands ne sont pas concernés).
Les marques des détenus
du camp de concentration
Le « triangle
vert » désigne les détenus « criminels professionnels » de droit commun
(« Berufsverbrecher » - BV), groupe relativement restreint de prisonniers
presque exclusivement de nationalité allemande, qui fournissent l’encadrement
direct des prisonniers aux ordres des SS et leurs collaborateurs le plus
souvent très zélés : ce sont les fameux «Kapos». Les « verts » deviennent
rapidement la terreur des autres prisonniers, profitant un maximum de la
fonction que les SS leur confient pour s'installer commodément au camp.
Quelques-uns entretiennent des relations assez intimes avec les SS qui occupent
des postes importants dans l'appareil de direction du camp (par exemple le
SS-Raportführer Gerhard Palitzsch). C'était surtout le cas du groupe des 30
prisonniers allemands de droit commun, emmenés du KL Sachsenhausen le 20 mai
1940 et du groupe suivant de 100 détenus venus du même camp le 29 août 1940.
Ces prisonniers accomplissent avec zèle les tâches qu'on leur confie, devenant
ainsi l'instrument de l'activité criminelle des SS.
Le « triangle rouge
» désigne les prisonniers politiques victimes de « l'arrestation
préventive » (Schutzhäftling). Jusqu'en 1944, c’est la catégorie la plus
nombreuse de prisonniers, catégorie dans laquelle dominent les Polonais :
résistants, personnes arrêtées sans motif valable, paysans et enfants des
environs de Zamosc (fin 1942), habitants de Varsovie amenés après
l’insurrection de la ville… lesRusse sont aussi nombreux dans cette catégorie
(femmes et enfants de la région de Minsk et Vitebsk en 1943…)
Rouge est aussi la couleur du clergé
catholique, en majorité des prêtres et des religieux polonais. Une grande
partie d’entre eux sera transférée dans le « Bolck des prêtres » du camp de
Dachau dont peu reviendront.
Le « triangle noir » désigne une catégorie spéciale, les détenus
«asociaux» (« Asoziale » - Aso). La notion « d'asocial » est imprécise et les
autorités hitlériennes lui donnent une acception assez large, comme par exemple
les prostituées (pour la plupart de nationalité allemande), les Tziganes, les
romanichels, les mendiants ou vagabonds, les jeunes en fugue…
Les Témoins de Jéhovah (« Internationale
Bibelforscher Vereinigung » - IBV) sont marqués du « triangle violet ».
Les « triangles
roses » sont les homosexuels. Ils sont relativement peu nombreux mais
particulièrement maltraités, car rejetés autant par les SS que par la majorité
des autres détenus.... L’homosexualité est d’ailleurs un phénomène assez
fréquent parmi les détenus enfermés depuis de longues années, surtout parmi les
« droits communs » allemands (BV) qui obligent par la force ou par des
promesses les prisonniers qui leur sont subordonnés à leur céder.
Les prisonniers arrêtés à titre préventif
après avoir purgé la peine prononcée par jugement et qui sont envoyés au camp
de concentration (« Sicherungsverwahrte » - SV, PSV) portent le « triangle vert
» placé sur la base.
« les prisonniers à rééduquer » («
Erziehungshäftling ») ne sont pas désignés par un triangle, mais uniquement par
l'initiale « E » précédant leur numéro d'immatriculation. En principe, leur
place n’est pas dans le camp, mais dans un camp spécial «
Arbeitserziehungslager – AEL ». Cette instruction ne sera naturellement pas
respectée. Ils sont appelés « coqs » à cause de la raie de cheveux qu’on leur
laisse sur le haut du crâne pour les identifier immédiatement. Leur sort est
particulièrement tragique, et ils sont systématiquement maltraités, de sorte
que la majorité d’entre eux meurt avant la fin de leur peine de principe de 56
jours et leur libération. A partir de janvier 1943 ils sont regroupés dans 4
blocks spéciaux à Buna-Monowitz, les femmes étant envoyées à Birkenau dans le
camp des femmes.
Les prisonniers de guerre soviétiques («
Russische Kriegsgefangene » - RKG) sont comptés dans une catégorie à part. Ils
sont au départ internés dans 9 blocks du Stammlager, formant un camp à part («
Russisches Kriegsgefangenen Arbeitslager ») ; mais ils dépendent des mêmes
autorités et ne bénéficient pas des clauses internationales protégeant les
prisonniers de guerre. Ils sont marqués du signe « SU » (« Sowjet Union »), et
en fait sont à Auschwitz pour y être « spécialement traités » (Sonderbehandelt
»), c’est-à-dire rapidement exécutés. Le 3 septembre 1941, 600 d’entre eux
servent de cobayes et sont gazés d’un coup dans la chambre à gaz du « K I »… Et
en mars 42 ceux qui sont encore vivants sont transférés à Birkenau.
Les Juifs constituent à partir de 1943 le
groupe le plus nombreux. Ceux qui ne sont pas immédiatement envoyés dans les
chambres à gaz dès leur arrivé, c’est-à-dire les rescapés des sélections, «
Juifs du travail » sont marqués d'une étoile à six branches faite de la liaison
de deux triangles de couleurs différentes : l'un, jaune qui désigne le déporté
juif, l'autre de la couleur qui correspond à l'une des catégories citées plus
haut. Mi 1944, le « triangle jaune » est remplacé par un « rectangle jaune »
placé au-dessus du premier triangle.
A partir de 1944, une autre catégorie
arrive au KZ : celle dite des « travailleurs civils » (« Zivilarbeiter » - ZA),
Russes et Polonais qui ne se prêtent pas à la germanisation (« Russen und
nichteindeutschungsfähige Polen »). Cette catégorie reste cependant très
minoritaire.
A dater du 12 février 1943, on garde au KL
Auschwitz les prisonniers dits « de police » (« Polizeihäftlinge »-PH) car il
n'y a plus de place dans la maison d'arrêt de Myslowice d’Oswiecim. Installés
tout d'abord à l'étage du Block 2, puis au rez-de-chaussée du Block 11, ils
n'ont pas de droit de quitter les locaux qui leur sont assignés. Une fois
terminées l'instruction de leur procès et l'audience (qui durent à peine
quelques minutes) du Tribunal d'Exception de la Police (Polizei-Standgericht),
les sentences de mort sont exécutées sur le champ, et ceux qui sont condamnés à
des peines de prison rejoignent l’effectif « normal » du KZ.
Il existe aussi au KZ Auschwitz quelques
détenus dits « privilégiés » (« Bevorzugte Häftlinge ») bénéficiant d’un régime
« adouci ». Ainsi Bruno Brodniewicz, criminel allemand de droit commun qui fut
pendant des années « chef de camp » ou « Lagerältester ».
fin 43 les nazis constituent au KZ, parmi
les quelques dizaines de prisonniers de nationalité allemande « une garde du
camp » (« Lageraufsicht »). Ces prisonniers ont droit à un local séparé et
portent un brassard spécial de couleur jaune avec l'inscription « Lageraufsicht
». Ils ont pour tâche de surveiller les brigades de travail des détenus
(kommandos). En pratique ils ne jouent pas le rôle prévu car, facilement
reconnaissables, dès qu'ils s'approchent, les prisonniers font semblant de
travailler à plein rendement.
Les détenus envoyés en « compagnie
disciplinaire » (« Strafkompanie » - SK) portent un signe distinctif
supplémentaire : un petit cercle de toile noire porté sur la veste. Parmi eux,
ceux qui sont jugés dangereux ou que l'on soupçonne de vouloir s'évader, sont
marqués d'un cercle rouge auquel on ajoute les initiales « IL » (« Im Lager » -
« au camp ») : ils n’ont pas le droit de quitter l'enceinte du camp. et il faut
faire particulièrement attention à eux. La « Strafkompagnie » est l’une des
pires, et peu de ceux qui en font partie en réchappent.