lundi 20 mai 2013

Camps de concentration -Travail







TRAVAIL

L’administration centrale du camp était liée par contrat à différentes firmes industrielles allemandes, comme Krupp Union, les Sociétés Charbonnières, etc…. auxquelles elle devait fournir un certain contingent de détenus aptes à travailler.

Tous les détenus sont obligés de travailler, sans exception : hommes, femmes, vieillards, jeunes femmes enceintes, malades.

Etant étudiant en médecine, cela ne m’a pas empêché d’être employé comme maçon, terrassier, mineur dans les mines de sel, électricien.

Les déportés étaient affectés aux travaux des usines de Gustloff, appartenant à Sauckel, ministre de l’Economie Nationale, à l’usine de Mibau (appareillage de radio électrique de guerre, D.A.W. etc.

Dans les usines Gustloff les sections suivantes furent installées au camp :

Finissage et montage de fusils le 23/2/42 avec 280 détenus. Usine 11, le 1/4/43 avec 51 détenus et qui s’agrandit jusqu’à occuper 3 000 détenus. Après la destruction par le bombardement, 1 500 détenus furent employés au déblaiement de 4 halls. Les usines de Mibau débrayèrent en novembre 43 avec 30 détenus, en novembre 44 elles en occupaient 1 500. Après le bombardement, 30 détenus seulement y furent employés aux travaux de déblaiement.

Voici la liste des kommandos de guerre avec l’effectif des détenus y travaillant :

Fabrique de munitions Oberndorf                                        200 détenus
Gustlof Weimar                                                                  2 252 détenus
Construction d’avions Erla et Leipzig                              948 détenus
Construction de canons Hasag, Leipzig et Tauha         825 détenus
Usines Junkers dans différentes villes                         5 875 détenus
Usines B.M.W. Eizenach t Abderoda                                619 détenus
Usines d’aviation Siebel, Balle                                          633 détenus
Bochumerverein                                                                1 167 détenus
Hasag dans différentes villes                                          3 609 détenus
Rheinmetall Borsig, Dusseldorf                                         260 détenus
Braunkohlen-Benzin A.G. Magdeburg-Troglitz               3 828 détenus

Liste des grands kommandos dans le domaine de la Kommandantur :

Garages militaires
Foyer S.S.
Carrière
Porteurs de pierres
Kommandos de constructions 1 et 2
Kommandos de terrasse
Kommandos d’adduction d’eau
Kommandos de villas S.S.

Tous ces kommandos existaient dès le début du camp.

Leurs effectifs augmentèrent avec celui du camp. En octobre 1942 le kommando X s’occupa des travaux de terrasse pour les usines Gustloff. En 1943, le chemin de fer Weimar-Buchenwald fut construit par 1 000 détenus, chiffre rond.

D’autres travailleurs sont là pour construire les usines souterraines pour la fabrication de V 1 et reconstruire le camp, décharger des moteurs d’avion en pleine forêt, creuser des tranchées pur faire venir l’eau dans ces lieux. Ils construisirent les routes qui mènent à la forêt. Tous ces travaux se faisaient loin des civils.

Nous travaillions aussi pour la I.G Farbenindustrie qui employait environ 40 000 civils (Polonais, Ukrainiens, Français, etc.), 10 000 détenus et 4 à 500 prisonniers de guerre anglais.

Il existait en outre, une section dite « Draht » (câble) confectionnant des filets d’acier contre les sous-marins. Ce travail consistait à enrouler des fils d’acier très rigides, non tréfilés, ce qui les rendait très rugueux et arrachait les mains des travailleurs. Un rendement très élevé d’une section optique où les détenus polissaient des lentilles destinées aux fabriques allemandes d’armements. Ce travail était accompli dans une atmosphère chargé d’un produit au gaz, je crois du tétrachlorure, provoquant une sorte d’asthme dont plusieurs de mes camarades souffrent toujours. Ce sont principalement des Belges qui étaient employés dans cette section, mais il y avait aussi des Français.

Le 22 juillet 1944, dans l’après-midi, 1 400 français furent envoyés vers les arbeitskommandos de Neckarelz et de Neckargerach (une moitié de l’effectif dans chaque camp). Ces deux arbeitskommandos sont situés dans la vallée du Neckar à 20 kilomètres sud-est d’Edelberg. Ils fournissaient de la main-d’œuvre à diverses entreprises en particulier :

-       A l’installation de l’usine d’aviation souterraine de Obrigheim.
-       A l’installation d’une usine semblable à Hochhausen.
-       A la construction de baraques réservées aux S.S. punis ou à la construction de baraques réservées aux populations sinistrées.
-       A certains travaux agricoles de la région.

Le camp d’aviation du petit Koenigsberg, par exemple, a été fait par 300 déportés qui ont damé le terrain en le martelant avec leurs pieds durant des jours entiers. Quand le travail fut terminé, il en restait 10.

Dans les premiers mois, beaucoup de kommandos partaient pour faire des tranchées le long de la frontière hollandaise et danoise. Beaucoup de détenus travaillaient au déchargement des péniches, etc.

Aux champs, on traînait,  tels les chevaux, des grandes voitures pour y mettre des pommes de terrer. Nous les chargions et nous les ramenions.

Enfin l’équipe dite des grosses pierres ; on devait soulever les pierres très lourdes à hauteur des épaules, afin de les basculer dans les wagonnets. Les contremaîtres s’opposaient à ce que les pierres soient soulevées à deux.

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Le réveil est à 3h30 du matin. Quelques minutes après commence l’appel au garde-à-vous qui dure jusqu’à 6 heures. Le travail commence à 6h30. Avant le départ au travail, tout le monde est fouillé minutieusement. Les internés, habillés en bagnards, sont alignés en rang de trois et encadrés de gardes munis de fusils et de mitraillettes.

Le départ pour le travail se faisait au son d’une joyeuse musique. L’orchestre, c’était un kommando de musiciens choisis parmi de vrais artistes.

Donc, en avant, au pas militaire, en partant du pied gauche.

On doit courir pendant tout le trajet.

Pour se rendre au travail, certains détenus faisaient 7 kilomètres.

Nous étions forcés de chanter sur la route. Ceux qui ne chantaient pas étaient violemment battus.

Il fallait également marcher avec les chaussures sur l’épaule, pour ne pas les user.

Un grand camion vide et quelques brancardiers suivent derrière et ceux qui s’écartent de leur rang ou qui tombent de fatigue sont immédiatement fusillés et chargés par les brancardiers sur le camion. Au soir, le camion ne rentre jamais vide.

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L’hiver, le travail était effectué avec la neige jusqu’aux genoux et pendant 11 heures.

Il y avait des feux qui étaient allumés, auprès desquels les kapos allaient se chauffer, mais, bien entendu, les travailleurs n’y avaient pas droit. Il fallait, par 20 à 25° au-dessous de zéro, saisir du matériel en fer ; beaucoup ont eu naturellement les mains gelées.

Je citerai le cas particulier d’un nommé R…. sujet américain, qui est venu travailler pendant une semaine. Il est mort de froid.

Après un certain nombre de semaines de travail, une épidémie terrible de typhus se déclara. Les prisonniers les plus faibles moururent par centaines.

Les prisonniers et prisonnières qui allaient travailler sous le soleil avaient des brûlures sur tout le corps. Entrés à l’hôpital,  ils étaient immédiatement piqués et ainsi mouraient des milliers de personnes tous les jours.

Dans le tunnel, nous travaillions dans une poussière infernale. Il n’y avait aucune aération, celle-ci se faisait uniquement par deux portes de tunnel distantes l’une de l’autre de 3 kilomètres. L’atmosphère était souillée par la fumée des trains, les machines de l’usine et surtout par les explosions de mines.

Le travail consistait à décharger des rails et des machines qui venaient par train à l’intérieur du tunnel car celui-ci était traversé de part en part par la ligne de chemin de fer. Le matériel était déchargé en face des différents halls. D’autres camarades ont été affectés au travail dans les galeries.

Les détenus logeaient dans l’usine, dans des sapes creusées dans les parois du tunnel où l’on avait disposé des boxes en bois à quatre étages. Il était presque impossible de dormir.

Les travaux de culture étaient épuisants, terribles. Les hommes perdaient, les premiers mois, 25 kilos, qu’ils ne pouvaient naturellement plus rattraper.

Ailleurs, le travail consistait à porter des pierres et à charger des wagonnets dans les conditions suivantes : une benne devait être chargée par deux détenus en 10 minutes. Ensuite, toujours par les deux mêmes détenus, le wagonnet devait être poussé sur une longueur d’une centaine de mètres pour être accroché à la locomotive. On peut évaluer à un minimum de 50 000, les détenus qui sont morts à ce travail.

A Linz, les déportés qui travaillaient dans une carrière souterraine sont restés un an sans voir le jour.
                                                                                                                     
Le travail à fournir est souvent inutile. Il consiste à porter des pierres très lourdes d’un point à un autre de bas en haute de la carrière et à redescendre a pas de gymnastique.

Les Allemands ont fait faire un travail au-dessus de leurs forces – le transport de pierres lourdes – à de nombreux groupes (1 200 personnes) de professeurs, médecins, ingénieurs et autres spécialistes amenés de Grèce. Les S.S. frappaient à mort les savants  qui tombaient, affaiblis par ce lourd travail. Tout ce groupe de savants grecs a été exterminé en cinq semaines par un système de famine, de travail épuisant, de matraquages et de meurtres.

Très peu pouvaient supporter un tel effort.

Me R… B…, avocat au barreau de Paris, a été tué de la façon suivante : il fut obligé de porter des sacs de ciment de 50 kilos en courant, de revenir, de reprendre un sac et de refaire le chemin. Il ne put résister plus d’une heure à ce travail, on le laissa tranquille pendant une journée et, le jour suivant, le même S.S. qui avait surveillé le kommando la veille, lui a arraché ses lunettes et l’a obligé une fois encore à courir avec le sac de ciment sur le dos. Fatigué, découragé, il jeta le sac de ciment et dit à ses camarades : « Je m’en vais, au revoir ». Il partit, dépassa la ligne de démarcation entres les postes de sentinelles et fut abattu sur-le-champ.

Il y a des personnes qui préféraient de donner la mort en se jetant sur les fils de fer barbelés.

Dans certains kommandos, le travail durait douze heures, de midi à minuit ou de minuit à midi. Jamais il n’était prélevé un instant sur temps de travail, sous aucun prétexte. Tous les actes de la vie : sommeil, ravitaillement, repas, hygiène, administration, visites médicales s’accomplissaient dans les neuf ou dix heures non absorbées par le commandement qui régissait le travail. En plus on venait nous chercher pour faire toutes les corvées du camp, porter la soupe aux S.S., décharger les camions de ravitaillement qui arrivaient, nettoyer, balayer différents endroits du camp. Pour ces corvées, c’étaient des Français qui étaient toujours choisis.

Ils étaient éreintés de leur terrible journée de travail et de toutes les corvées. Ils étaient tous sales et dans un état de dépression physique épouvantable.

Après une journée de travail harassant dans les carrières, tous les internés doivent subir encore la torture d’un appel au garde-à-vous qui dure 2 heures, et parfois de minuit à 7 heures.

Il n’y avait aucun repos de prévu pour les détenus. Entre les heures de travail, dans la cour du camp, il était formellement interdit de s’arrêter, de s’asseoir.

Quelquefois les S.S., pour s’amuser, nous faisaient faire du « sport » et en une demi-heure ils nous fatiguaient plus qu’en une semaine de travail.

Dans les blocks, le repos était impossible pour deux raisons : la lumière continuelle et ensuite, le va-et-vient incessant.

17 heures de travail et 2 heures de sommeil.

Une des grosses raisons de fatigue était le changement de « shicht » (équipe). Lorsque nous changions, nous devions travailler 24 heures consécutives. La surveillance des S.S. était alors affreuse car les prisonniers s’endormaient sur place c’était l’occasion de distribuer de nouveaux coups de cravache. Ces changements avaient lieu, soit toutes les semaines, soit tous les quinze jours.

Il nous est arrivé de rester de 4 heures du matin à 5 heures du soir dans la cour d’appel sous prétexte de photographie et ensuite nous fûmes envoyés à l’usine pour prendre notre travail jusqu’au lendemain à 6 heures. Comme nous n’avions pas été photographiés la veille, on nous a rassemblés soi-disant pour nous photographier, jusqu’à 1 heure de l’après-midi. Nous sommes donc restés 32 heures debout.

Aucun repos le dimanche.
Il n’y avait ni fête, ni dimanche même pour le 1er de l’An.

Nous avions un dimanche par mois de libre où l’on n’allait pas travailler au kommando et ce dimanche était terrible car il fallait travailler au camp où l’on était battu.
D’autres fois, nous le passions en appels.

L’alimentation était tout juste suffisante pour empêcher un homme de mourir de faim et absolument insuffisante pour lui permettre de faire un travail de quelque efficacité, si minime fût-il.

Nous ne disposions que d’une demi-heure pour manger. La soupe est donnée dans un baraquement où les hommes ne devraient être que 150. Ils sont 1 500, tellement serrés que les nouveaux arrivés oublient de manger ne réalisant pas encore le genre de gymnastique nécessaire pour se faire servir et avaler une soupe dans une position aussi incommode. Comme dans la demi-heure accordée sont compris l’entrée, le service et la sortie, il faut faire vite pour évacuer tant de monde et cette sortie et activée par un « vert » (criminel de droit commun allemand portant une marque verte et qui a le droit de vie ou de mort sur les prisonniers) monté sur un tonneau et muni d’un énorme gourdin, qui assomme les hommes au passage : 10 ou 15 victimes chaque fois.

Quelquefois nous n’avons qu’un quart d’heure de pose pour la soupe et le plus souvent on nous faisait mettre à genoux pour la distribution.

Il y avait des jours où les hommes de toutes ces parties de l’Europe travaillant sans cesse la journée, ne recevaient pas leur soupe à midi sur leurs lieux de travail. Ils rentraient le soir au camp à 4 heures, étant partis le matin à 3 heures.

La durée de service avec cette nourriture est en moyenne de 6 mois pour un être normal. Elle tombe à deux mois pour un être faible. L’individu consomme d’abord sa graisse, puis ses muscles et il perd 30 à 35% de son poids.

Il est naturel que beaucoup d’entre eux tombent exténués. Pour ces malheureux c’était le signe d’une fin très proche.

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Les déportés partaient le matin au travail par 50, avec un kapo. On déclarait donc 50 rations. Si le soir, il ne ramenait que 40 ou 45 déportés, les rations lui appartenaient.

D’autre part, quand un poste ramenait 15 morts, il avait 15 jours de permission.

J’ai entendu un jour la conversation suivante entre deux Allemand : un kapo et un S.S.
« Combien aujourd’hui ? » -« Cinq, répondait l’autre. » - « C’est peu, répliquait le premier. » - « Je tâcherais de faire 10 demain. »

Il s’agissait de tuer des détenus.

J’ai vu un kapo tenir la tête d’un déporté sous l’eau jusqu’à e que la mort s’ensuive.

J’ai vu maltraiter et faire mourir un Américain d’origine italienne qui s’appelait C.L, né en août 1901 à New-York, qui avait eu les pieds gelés et qu’on a obligé à travailler malgré ses blessures. On le pansait avec du papier et on le renvoyait travailler dans la neige. Il est mort en 12 jours.

Le travail qui fut imposé à des camarades de captivité consistait à mettre de la chaux dans les wagonnets. N’ayant aucune pelle, ils étaient obligés de prendre cette chaux avec les mains. Un jour de vent, une jeune israélite reçut dans les yeux de la chaux vive, il s’en est plaint au S.S. de gare qui l’a attiré un peu plus loin et l’a abattu d’un coup de revolver.

Chaque homme qui tombait rapportait en plus 60 marks à condition que ce fût au cours d’une tentative d’évasion. Pour cela les S.S. prenaient la coiffure de l’un de nous, qu’ils jetaient entre deux rangées de fils de fer barbelés éloignées de 10 mètres l’une de l’autre et qui était considérée comme zone d’évasion. Ils ordonnaient au propriétaire de la coiffure d’aller la chercher et lorsque l’homme se rendait à l’ordre et allait dans cette zone, automatiquement la sentinelle du mirador tirait et le tuait. Lorsque l’homme refusait d’aller chercher la coiffure, le S.S. envoyait son chien qui déchirait littéralement le prisonnier.

Il y a lieu de noter que très souvent les postes de surveillance se déplaçaient de sorte que les détenus de sorte que les détenus pouvaient se trouver en dehors de la ligne de démarcation sans le savoir et qu’ils étaient abattus.

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Les détenus étaient encadrés par des S.S. qui avaient le droit de les frapper, de lancer sur eux des chiens qui les mordaient cruellement et de les abattre pour toutes soi-disant tentatives d’évasion. Les S.S. du camp ont exercé ce droit avec férocité.

Les contremaîtres, des criminels de droit commun, spécialement choisis pour plaire aux bourreaux du camp t pour mieux mériter leurs privilèges, aidaient à torturer les internés.

Le travail était surveillé par le kapo. Ce dernier était responsable de l’effort des détenus en ce sens qu’il devait stimuler le travail en les battant d’un coup de bâton au besoin et lorsque le rendement forcé n’était pas obtenu, il recevait lui-même 25 coups de bâton, à moins qu’il ne prouve qu’il avait, pendant le travail, battu les détenus, en montrant les traces des coups sur le corps des victimes.

Nous travaillions constamment sous les coups nous donnaient les contremaîtres, les Vorabeiter ou les Kapos.

Nous avons été traités avec une extrême sauvagerie. On nous battait sans raison.
Qu’on travaille bien ou mal, on était battu.

Un jour, dans le tunnel, je vis venir à moi, deux officiers S.S. L’un d’eux vociférait et me frappa d’un violent coup de poing à la tête. Je tombai sur le béton et perdis connaissance. Quand je revins à moi, il avait disparu. Je n’ai jamais su pourquoi j’avais été frappé.

Le sous-directeur de la mine avait coutume de descendre à la mine deux fois par semaine. Avant que nous ne puissions le voir arriver su nous, et sans aucun motif, il frappait les Juifs à tour de rôle avec une canne ferrée en disant qu’il nous battait parce que nous étions Juifs et les Juifs étaient responsables de la guerre. Il disait : « Vous, chiens, on vous tuera tous ici ». Les Polonais qui travaillaient avec nous n’avaient pas le droit de nous parler ; ils nous ont dit qu’avant notre arrivée c’étaient eux qui étaient battus et qu’ils étaient bien contents que des Juifs prennent leur place.

On nous a prévenus que le chef de block était fou et qu’il fallait s’en méfier. En effet, il passait parmi nous une énorme cravache formée d’un gros fil téléphonique de 1 centimètre de diamètre et frappait au hasard dans les rangs.

J’ai vu aussi de nombreuses fois dans l’enclos du Revier où étaient situés mes services, sortir de nombreux Français invalides qui travaillaient au « Holzhaufeln » (ramassage et mise en tas de bois) ; des sous-officiers S.S. venant à contre-sens lles frappaient à coups de poing jusqu’à ce qu’ils fussent tombés. Lorsqu’ils étaient à terre, ils les frappaient à coups de pied dans la poitrine.

Au cours de son travail, le kapo du kommando « Petersen », n’étant pas content du  travail fourni, a obligé un interné à se mettre à quatre pattes et, avec une grosse poutre, l’a frappé sur la région lombaire. Le malheureux fut amené à l’hôpital avec une fracture de trois vertèbres qui entraîna sa mort en quarante-huit heures.

Chaque jour on nous faisait sortir dans les champs pour trier les pommes de terre. Dix heures de travail accroupis sur les genoux. Si un détenu s’asseyait à terre, s’il se redressait, il recevait immédiatement un coup de matraques de fer. S’il n’était pas mort, il était certain d’avoir un bras, une jambe ou une côte cassé.

Combien de dos meurtris ou de crânes fendus ai-je  vus !

Le travail au kommando était toujours accompagné de coups de pied, de coups de poing, de coups de matraques en caoutchouc, de coups de bâton ou de manche de pelle.

Dans certains travaux, les coups pleuvaient continuellement. Pour les détenus qui avaient à pousser les wagonnets, par exemple, chaque fois qu’un wagonnet passait devant les S.S., ces derniers frappaient ceux qui le poussaient. Aux travaux de terrassement c’était le même chose, les S.S. frappaient sans relâche.

On peut dire que les détenus affectés à ces kommandos n’avaient pas de chance de revenir.

Les gardiens S.S. assuraient sans cesse aux prisonniers qu’ils ne sortiraient pas vivants. Les prisonniers vivaient dans une atmosphère de violence et d’inquiétude constante.

Là, comme dans tous les camps, beaucoup de détenus sont morts des suites de la multiplicité des coups reçus sans motifs.

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Le travail était fait en courant.
Il est d’ailleurs interdit à tout détenu de se déplacer autrement qu’au pas de gymnastique.

Il n’était pas permis de s’arrêter, ne fût-ce que pendant quelques secondes.

Il fallait être toujours en mouvement.
Il fallait courir avec une charge énorme, vu la faiblesse de l’homme. Lorsqu’on était tombé, les S.S. vous écrasaient à coups de botte. Si vous aviez un camarade tombé devant vous, vous deviez marcher dessus, sans cela c’était la mort.

Si une personne était surprise en train de flâner, elle était punie. Ces punitions étaient toujours des châtiments corporels variant entre quelques coups de cravache et des mouvements d’assouplissement exécutés lentement. Toute mauvaise exécution était punie par des coups de cravache. Il y avait également les 25 coups sur les fesses ; la victime était déculotté, maîtrisé par deux prisonniers appelés par les S.S. et recevait 25 coups en comptant à haute voix.

Les détenus considérés comme Juifs étaient l’objet de sévices particulièrement odieux.

Quelle que fût sa conditions physique, un Juif ne pouvait pas tenir plus de 2 semaines. Un Juif, par exemple, capable de faire son travail à une vitesse double (comme pousser une brouette lourdement chargée), devenait, selon toute probabilité, incapable de continuer ainsi à la longue. S’il montrait des signes de relâchement, il était sûr de se faire tuer au départ à coups de manche de pelle ou de pioche.

Le travail dans la carrière est un véritable travail de bagne.

A cette époque, tous les Juifs devaient travailler dans l’escouade de terrassement. Il leur fallait gravir au pas de gymnastique une pente rapide de gravier. Au sommet, des S.S. et des kapos vérifiaient leur travail et la vitesse à laquelle il était accompli et quand ils estimaient que l’un d’eux « flânait », il était tout simplement repoussé en arrière à son arrivée en haut et dévalait la pente avec sa brouette chargée. C’était pour les gardes un passe-temps favori.

L’outillage de travail dans les carrières est presque inexistant. Les malheureux doivent transporter les grosses pierres sur leur dos.

Un long escalier de 180 marches taillé dans la roche, mène des carrières au dehors et c’est par cet escalier que les internés exténués doivent accomplir leur travail. Très souvent à bout de force ils t, ils dégringolent, écrasés, en bas. Cela arrive surtout lors du transport de pierres de quelques centaines de kilos. Quatre ou six internés les portent sur leur dos, et au moindre trébuchement de l’un d’eux, tous tombent écrasés. Ces sores d’accidents, si l’on peut les appeler ainsi, ont lieu quotidiennement. Moi-même j’en ai été deux fois témoins.

Dans un convoi étaient arrivés deux de ces malheureux Juifs. L’un dont je ne me souviens que du nom de famille : C…; l’autre jeune franc-tireur, étudiant en médecine de 4ème année, dénommé Jean R… Ces deux camarades furent mis avec les 20 Juifs existant déjà dans le block. Ils devaient dormir sous les lits où on les rentrait à coups de pied et le nerf de bœuf. Ils étaient affectés à un kommando spécial « Lagerbauer ». Il s’agissait de la construction de l’infirmerie. Le chef de ce kommando, criminel de droit commun, était connu sous le nom de « Jim la Terreur ».

On lui doit personnellement la mort de tous les Juifs venus au camp jusqu’en juillet 1943, date où il fut incorporé dans les S.S.

Tour à tour, les détenus juifs étaient avertis 8 jours à l’avance de la date de leur mort. Lorsque cette date n’était pas arrivée et que les coups avaient été trop forts, la victime n’était pas frappée pendant quelques jours jusqu’à ce qu’elle ait repris suffisamment de force. C.. mourut, si mes souvenirs sont exacts, vers la fin de juin 1943.

R… plus résistant et dont le moral était excellent, put résister jusqu’à fin juillet, début août. J’allais le voir chaque sir en revenant de mon travail. Deux jours avant sa mort, il m’annonça que les kapos lui avaient dit qu’il serait exécuté le surlendemain. Les deux derniers jours furent pour lui un véritable martyre. A l’ordre d’aller à la limite au-delà de laquelle on se faisait fusiller, il refusa et il fut conduit par le kapo ; la sentinelle S.S. tira. Il fut tué à la deuxième balle. J’ai vu moi-même son cadavre remonter. La cartothèque du camp porte : « Mort au cours d’une tentative d’évasion ».

D’autres furent exterminés de la façon suivante : on les faisait descendre dans les trous, remonter à l’échelle des pierres de 100 kilos et au bout d’un jour ou deux de ce travail, on leur donnait une corde pour qu’ils se pendent. Si le détenu refusait de se pendre, le kapo l’y aidait.

Il y avait des exécutions presque chaque semaine pour des motifs allant du vol d’un litre de soupe jusqu’au soi-disant sabotage. (Le sabotage était impossible dans le tunnel, chaque vis étant contrôlée deux fois par des spécialiste de la Luftwaffe).

Il y a eu de nombreuses pendaisons, mais ce qui nous a frappé le plus par son horreur c’était la pendaison simultanée de 32 détenus à l’aide d’un palan électrique. Nous étions obligés de rester devant, pour regarder. (Ces 32 pendaisons avaient pour motif le soi-disant sabotage). Les kapos et vorarbeiter nous frappaient si nous ne regardions pas. Nos camarades allaient à l’exécution garrotés par un morceau de bois. Le lendemain, 56 autres détenus ont été pendus pour un motif que nous ignorons.

J’ai travaillé 14 mois dans une usine d’armement. Il y eut un acte de sabotage dans la fabrication des explosifs. Les Polonais qui en furent les auteurs, furent pendus.

Si, harassés de fatigue, ayant mal travaillé pendant la journée, on avait mécontenté d’une façon quelconque le S.S. de garde, on était envoyé le soir à la potence, puis au four crématoire.

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Le soir nous devions rentrer. Si l’homme était à l’agonie, il était obligé de marcher quand même. C’est ainsi qu’est mort le frère d’un rédacteur d’un journal américain.

Nous emportions avec nous les camarades tués ; chaque cadavre était transporté par 4 détenus.

Pendant mon séjour à la carrière, c’est-à-dire jusqu’en juin 1944, il ne se passait pas de jour où les détenus remontant au camp n’aient pas à remonter des civières en nombre variant de 2 à 10, chargées de morts ; détenus maltraités par les S.S. ou même par le kapo, ayant succombé à leurs blessures.

Les internés partaient à 200 et rentraient à 120. Si le soir ils étaient 150, il y en avait 30 à éliminer. Le kapo demandait à un interné un chiffre ; si la réponse était 10, par exemple, tous les hommes sur lesquels tombaient ce chiffre, quand le S.S. comptait étaient obligés de sortir du rang. Pour eux c’était la mort.

Dans un kommando (construction d’une usine souterraine) le directeur se vantait de faire mourir ses ouvriers en mois de 6 semaines (privation de sommeil et de nourriture, travail exténuant, tous les mouvements se faisaient au pas de gymnastique ; ceux qui avaient une défaillance étaient assommés sur place). Les rares survivants étaient ramenés au camp dans le block dit « d’extermination » pour y mourir d’épuisement.

Les camarades mouraient comme des mouches. On les entassait comme des sacs et ils attendaient un ou deux jours que les équipes spéciales de brouettes viennent les chercher de l’extérieur.

La mortalité était si élevée que chaque jour dans notre groupe de 200 il y avait 30 à 35 morts. Un grand nombre devaient simplement leur mort aux coups que distribuaient sans la moindre raison les surveillants et les kapos pendant le travail. Les vides causés dans nos rangs par ces blessés étaient comblés quotidiennement par d’autres prisonniers.

La plus grande mortalité était enregistrée dans les kommandos extérieurs. Le 2 janvier 1945, le kommando S III était composé de 3 000 personnes, le 22 février on nous comme devant revenir de ce camp, 1 500 déportés fatigués, renvoyés au repos. Arrivés à la gare, plus de 200 déportés étaient déjà morts. De la gare jusqu’au camp 160 autres mouraient. De tout ce kommando il n’est resté finalement que 50 personnes. Dans un autre kommando qui contenait 4 000 Juifs, il y a eu 3 600 morts.

Sur 1 800 détenus, 600 sont morts en 6 semaines. Ailleurs, sur 1 000 il ne restait plus que 280 survivants au bout de trois semaines.

La proportion des morts en deux ou trois mois était de 70 à 80%

En réalité, nous étions tous condamnés à mort, seul l’intérêt allemand nous donnait un sursis. Nous étions tous destinés à connaître un jour l’inanition mortelle ou le wagon de transport transformé en étouffoir ou la chambre à gaz ou n’importe quel autre procédé d’extermination.

A suivre - Travail-Femmes

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