jeudi 16 mai 2013

Camps de concentration -L'appel-





L’APPEL

Qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il vente, le matin dans le brouillard, au soleil, le détenu doit subir l’appel.

Réveil à 3 h. ½ du matin.

S’il vous arrive de flâner une minute dans votre lit, vous êtes sortis à coups de triques et aspergés d’eau froide.

Les femmes malades n’étaient pas exemptées de ce supplice ; je dis ce supplice parce que j’ai vu des quantités de femmes s’évanouir transies de froid, les pieds dans la neige en plein vent glacial. D’ailleurs, comme il fallait avoir 40° de température pour être admise à l’hôpital, je vous prie d’imaginer ce qu’est l’intolérable attente d’une prisonnière qui a 39°5 de fièvre et qu’on arrache brutalement d’un lit sinon chaud du moins tiède. Nos gardiennes, femmes soldats qui étaient féroces pour nous, nous confiaient sans honte d’ailleurs que c’était dans le but de nous faire disparaître. Je me suis évanouie une fois par faiblesse et je me suis ranimée par hasard, sans aucun soin.

Plusieurs fois même, j’ai dû monter à l’appel des camarades évanouies ou en crise d’épilepsie ; nous devions les poser par terre à côté de nous et ne pas nous en occuper. J’ai reçu plusieurs fois des coups de poing et de matraques des policières ou des sentinelles femmes (allemandes ou polonaises) pour m’être occupée de femmes en pleine crise d’épilepsie qui se roulaient dans la boue.

Lors du premier appel, une de mes amies était malade. Très naïvement, je vais trouver notre « blockowa » et je lui demande : « Madame, je m’excuse de vous déranger, mais une de mes amies est très souffrante, ne peut-elle pas être dispensée de l’appel ? » Elle m’a répondu : « Madame, ici, celles qui meurent vont à l’appel ».

Et en effet, devaient monter à l’appel, non seulement les mourantes, mais même les morts de la journée afin que le compte soit exact. On les mettait sur un banc qui était porté par deux détenus.

C’est ainsi que 3 fois j’ai dû tenir les morts pendant l’appel. J’ai fait remarquer au S.S. que cela semblait inutile. Il a répondu : « Mort ou vivant, tout le monde doit être présent » et il a terminé en me disant : « Appel ist Appel (l’appel c’est l’appel).

Morts et mourants étaient traînés chaque matin sur la place d’appel.

Il y avait parmi nous une enfant d’environ 6 mois. Cet enfant était tenu de venir à l’appel avec nous, mais il était gênant puisqu’il devait être porté dans les bras et empêchait l’harmonie des rangs. Un S.S. a alors décidé qu’il serait désigné comme « kommandiert » au bordel. (Les kommandiert étaient des kommandos déportés affectés aux différents services intérieurs du camp ; ils bénéficiaient d’un régime spécial privilégié, puisque leur travail les dispensait de l’appel). Le S.S. ajouta que l’enfant aurait ainsi des soins plus « mutterich » (maternels). J’ai demandé le motif de son arrestation, il m’a été répondu : « Gefâhrlich fur das Grosse-Reich » (dangereux pour le Grand Reich).

S’il manquait un camarade à l’appel, nous devions rester là tant qu’on le cherchait.

J’ai vu à Mauthausen un camarade russe, arrivé à l’appel avec 5 minutes de retard, qui eut la tête écrasée à coups de pieds par 12 S.S.

Une fin tragique fut réservée au rabbin E… qui souffrait de dysenterie et qui, un jour arriva en retard de quelques minutes à l’appel du soir.

Le chef de groupe le fit saisir et tremper la tête la première dans les latrines, puis il l’inonda d’eau froide, tira son revolver et l’abattit.

On restait à l’appel jusqu’à 5 h. ½ debout, les bras le long du corps, devant les « offizierinnen ». Il était défendu de parler, sans cela elles vous jetaient des seaux d’eau à la tête, et il faisait froid le matin.

Le kapo de notre block a tué l’un de nos camarades parce qu’il n’était pas au garde-à-vous. Il l’a frappé d’un coup de poing sous le menton et une fois que le malheureux a été par terre, il l’a étouffé en lui appuyant le pied sur la gorge.

L’appel du soir durait également souvent des heures. Ainsi c’était des heures entières que les pauvres détenus devaient rester exposés aux rigueurs du climat polonais.

Le camp de Ravensbrück est un ancien marais asséché. La terre y était noire, elle brûle. Il y en avait qui avaient la moitié des mollets rongés, ça s’attaquait à la figure aussi, c’est le terrain qui mangeait la chair ; celles qui y étaient depuis longtemps, avaient des plaies épouvantables. Moi, je ne pouvais pas les regarder.

Après 12 heures de travail et un appel à 18 heures, tout se camp se rassemblait à nouveau sur la place pour un appel de nuit, particulièrement fatigant l’hiver, les soirs de grands froids.

Il y avait des appels interminables de jour et de nuit, sous la neige. Ces stations duraient 3 heures, quelquefois 4, même 6.

Au moment de la défaite de Stalingrad il y eut un très long appel. Il dura toute la journée sous la neige. Le lendemain, on a recommencé l’appel.

12 000 hommes en rang immobiles et glacés.

Le premier choc que je reçus au cours du premier appel de nuit fut la phrase prononcée par un S.S. qui passait et qui demanda au chef de block : « Combien de morts ? » L’autre répondit : « 10 : et le S.S. de rétorquer : « Comment, si peu ? »

Et en effet, c’est à l’appel que mourait le plus grand nombre.

Beaucoup de camarades tombaient au rassemblement du matin. J’ai vu au minimum mourir un camarade par jour ; certains jours, j’en ai vu mourir jusqu’à trois.

Si l’un d’eux perdait connaissance et ne répondait pas à l’appel, on le portait sur la liste des morts et on l’achevait ensuite à coups de bâtons.

Quelquefois 6 ou 7 hommes tombaient morts aux appels après lesquels des dizaines d’autres détenus devaient être admis à l’hôpital. L’infirmerie se remplissait de moribonds. Souvent une dizaine tombaient morts, on ne les ramassait pas, c'était interdit.

Les gens s'écroulaient. Quelquefois, pour les achever, on lançait les chiens sur eux.

Les S.S. et les matraqueurs les rouaient de coups de bâtons et de coups de pied pour les faire relever, ce qui était impossible car ils étaient morts.

Un ministre belge est mort pendant un appel prolongé par un froid excessif.

A suivre Punitions et tortures

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